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DROIT ET POLITIQUE

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DROIT ET POLITIQUE



Table des matiÈres

Un dfaut particulier aux Allemands, c'est qu'ils cherchent dans les nuages ce qui se trouve à leurs pieds. Un excellent exemple de ce genre nous est livr par la maniÈre dont les professeurs de philosophie traitent le droit naturel. Pour expliquer les conditions humaines bien simples qui en constituent le fond, - droit et tort, proprit, tat, droit pnal, etc., - ils font appel aux notions les plus extravagantes, les plus abstraites, c'est-à-dire les plus larges et les plus vides, et ils batissent ainsi dans les nuages leur tour de Babel, suivant leur caprice spcial à chacun. Les conditions les plus claires et les plus simples de la vie, qui nous affectent directement, sont ainsi rendues inintelligibles, au grand dtriment des jeunes gens forms à une pareille cole. Les choses elles-mÊmes, au contraire, sont parfaitement simples et comprhensibles, comme le lecteur peut s'en convaincre par l'analyse que j'en ai faite. (Voir le Fondement de la morale, 17, et le Monde comme volont et comme reprsentation, 62). Mais au son de certains mots, tels que droit, libert, le bien, l'Être, - cet infinitif illusoire du rapport de liaison, - et d'autres de la mÊme sorte, l'Allemand est pris de vertige, tombe bientt dans une espÈce de dlire, et s'chappe en phrases ampoules et vides de sens. Il coud artificiellement ensemble les notions les plus loignes et par consquent les plus creuses, au lieu de fixer ses yeux sur la ralit et de voir les choses telles qu'elles sont. C'est de ces choses que sont tires les ides en question, et ce sont elles qui, par suite, leur donnent leur seule signification vraie.

Celui qui part de l'ide prconue que la notion du droit doit Être positive, et qui ensuite entreprend de la dfinir, n'aboutira à rien; il veut saisir une ombre, poursuit un spectre, entreprend la recherche d'une chose qui n'existe pas. La notion du droit, comme celle de la libert, est ngative ; son contenu est une pure ngation. C'est la notion du tort qui est positive ; elle a la mÊme signification que nuisance - læsio - dans le sens le plus large. Cette nuisance peut concerner ou la personne, ou la proprit, ou l'honneur. Il s'ensuit de là que les droits de l'homme sont faciles à dfinir : chacun a le droit de faire tout ce qui ne nuit pas à un autre.

Avoir un droit à quelque chose ou sur quelque chose signifie simplement ou faire cette chose, ou la prendre, ou en user, sans nuire par là à qui que ce soit. Simplex sigillum veri. Cette dfinition montre l'absurdit de maintes questions : par exemple, si nous avons le droit de nous enlever la vie. Quant aux droits que, dans cette conjecture, d'autres pourraient avoir personnellement sur nous, ils sont soumis à la condition que nous vivions, et tombent avec elle. Rclamer d'un homme qui ne veut plus vivre pour lui-mÊme, qu'il continue à vivre comme une simple machine pour l'utilit d'autres hommes, c'est là une exigence extravagante.

Quoique les forces des hommes soient ingales, leurs droits sont gaux. Ces droits en effet ne reposent pas sur les forces, parce que le droit est de nature morale; ils reposent sur le fait que la mÊme volont de vivre s'affirme dans chaque homme au mÊme degr d'objectivation. Ceci ne s'applique toutefois qu'au droit primordial et abstrait que l'homme possÈde en tant qu'homme. La proprit, de mÊme que l'honneur, que chacun acquiert au moyen de ses forces, dpend de la mesure et de la nature de ces forces, et offre alors à son droit une sphÈre plus large ; ici, par consquent, cesse l'galit. L'homme mieux quip, ou plus actif, agrandit par son industrie non son droit, mais le nombre des choses auxquelles celui-ci s'tend.

Dans les Supplments au Monde comme volont et comme reprsentation (chap. XLVII), j'ai prouv que l'tat,dans son essence,n'est qu'une institution existant en vue de la protection de ses membres contre les attaques extrieures ou les dissensions intrieures. Il s'ensuit de là que la ncessit de ltat repose, en ralit, sur la constatation de l'injustice de la race humaine. Sans elle, on ne penserait nullement à ltat; car personne ne craindrait une atteinte à ses droits. Une simple union contre les attaques des bÊtes froces ou des lments n'aurait qu'une faible analogie avec ce que nous entendons par tat. De ce point de vue, il est ais de voir combien sont borns et sots les pbilosophastres qui, en phrases pompeuses, reprsentent l'tat comme la fin suprÊme et la fleur de l'existence humaine. Une telle maniÈre de voir est l'apothose du philistinisme.

Si la justice gouvernait le monde, il suffirait d'avoir bati sa maison, et l'on n'aurait pas besoin d'autre protection que de ce droit vident de proprit. Mais parce que l'injustice est à l'ordre du jour, il est ncessaire que celui qui a bati la maison soit aussi en tat de la protger. Autrement son droit est imparfait de facto : l'agresseur a le droit de la force (Faustrecht). C'est prcisment la conception du droit de Spinoza, qui n'en reconnait pas d'autre. Il dit:  Unusquisque tantum juris habet, quantum potentia valet  (Tractatus theologico-politicus, chap. II, 8), et:  Uniuscujusque jus potentia ejus definitur  (thique, propos. 37, scolie 1re.) C'est Hobbes qui semble lui avoir suggr cette conception du droit, particuliÈrement par un passage du De Cive (chap. I, 14), oÙ il ajoute ce commentaire trange, que le droit de Dieu en toutes choses repose uniquement sur son omnipotence.

Mais c'est là une conception du droit qui, en thorie comme en pratique, est abolie dans le monde civil; dans le monde politique, elle ne l'est qu'en thorie, et continue à agir en pratique. Les consquences de la ngligence de cette rÈgle peuvent se voir en Chine. Menac par la rbellion à l'intrieur et par l'Europe à l'extrieur, cet empire, le plus grand du monde, reste là incapable de se dfendre, et doit expier la faute d'avoir cultiv exclusivement les arts de la paix et ignor ceux de la guerre.

Il y a entre les oprations de la nature cratrice et celles de l'homme une analogie particuliÈre, mais non fortuite, qui est base sur l'identit de la volont dans l'une et dans l'autre. AprÈs que les herbivores eurent pris place dans le monde animal, les carnassiers apparurent, ncessairement les derniers, dans chaque classe d'animaux, pour vivre de ceux-ci, comme de leur proie. Juste de la mÊme faon, aprÈs que des hommes ont arrach au sol, loyalement et à la sueur de leur front, ce qui est ncessaire pour alimenter leur socit, on voit arriver souvent une troupe d'individus qui, au lieu de cultiver le sol et de vivre de son produit, prfÈrent exposer leur vie, leur sant et leur libert, pour assaillir ceux qui possÈdent leur bien honnÊtement acquis, et s'approprier les fruits de leur travail. Ces carnassiers de la race humaine sont les peuples conqurants, que nous voyons surgir en tous lieux, depuis les temps les plus reculs jusqu'aux plus rcents. Leurs fortunes diverses, avec leurs alternatives de succÈs et d'checs, constituent la matiÈre gnrale de l'histoire universelle. Aussi Voltaire a-t-il dit avec raison :  Dans toutes les guerres, il ne s'agit que de voler   . Que les gouvernements qui font ces guerres en aient honte, ils le prouvent en protestant chaque fois qu'ils ne prennent les armes que pour se dfendre. Mais au lieu de chercher à excuser cet acte par des mensonges publics officiels, presque plus rvoltants que l'acte lui-mÊme, ils devraient s'appuyer carrment sur la doctrine de Machiavel. Celle-ci admet entre individus, au point de vue de la morale et du droit, la valeur du principe : quod tibi fleri non vis, id alteri ne feceris; tandis qu'entre peuples et en politique, c'est le contraire : Quod tibi fleri non vis, id alteri tu feceris. Veux-tu ne pas Être assujetti : assujettis à temps ton voisin, c'est-à-dire dÈs que sa faiblesse t'en offre l'occasion. Si tu laisses celle-ci s'envoler, elle passera un jour dans le camp ennemi, et c'est ton adversaire qui t'assujettira; il se peut mÊme que ce ne soit pas la gnration coupable de la faute, mais la suivante, qui en fasse expiation. Ce principe de Machiavel est en tout cas un voile beaucoup plus dcent a l'usage de la rapacit, que le haillon transparent des mensonges les plus palpables dans les discours des chefs d'Etat, discours dont quelques-uns rappellent l'histoire bien connue du lapin accus d'avoir attaqu le chien. Chaque tat regarde au fond l'autre comme une horde de brigands qui tomberont sur lui, dÈs que l'occasion s'en offrira.

Entre le servage, comme en Russie, et la proprit fonciÈre, comme en Angleterre, et, d'une faon gnrale, entre le serf, le fermier, le tenancier, le dbiteur hypothcaire, la diffrence est plutt dans la forme que dans le fond. Si c'est le paysan qui m'appartient, ou la terre qui doit le nourrir; si c'est l'oiseau, ou sa pature; si c'est le fruit, ou l'arbre, - cela, en ralit, ne diffÈre pas beaucoup. Comme le dit Shylock:

You take my life,

When you do take the means, whereby I live 

Le paysan libre a cet avantage, qu'il peut quitter sa terre et parcourir le vaste monde. Le serf, glebæ scriptus, a de son ct l'avantage peut-Être plus grand que, lorsque la mauvaise rcolte, la maladie, la vieillesse ou l'incapacit le condamnent à l'impuissance, son maitre est oblig de pourvoir à ses besoins. Aussi le serf dort-il tranquille, tandis que, en une anne de mauvaise rcolte, le maitre s'agite sur son lit, rÊvant aux moyens de procurer du pain à ses hommes. Voilà pourquoi Mnandre a djà dit :

(Stobe, FlorilÈge, t. II, p. 389, dit. Gaisford, 1822). 

Un autre avantage de l'homme libre est la possibilit d'amliorer sa situation grace à certains talents ; mais cette possibilit n'est pas non plus complÈtement enleve à l'esclave. S'il se rend utile à son maitre par des travaux d'un ordre un peu lev, celui-ci le traitera suivant ses mrites. C'est ainsi qu'à Rome les artisans, contremaitres, architectes et mÊme mdecins taient pour la plupart des esclaves, et que de nos jours encore il y a en Russie, affirme-t-on, de gros banquiers qui sont des serfs. L'esclave peut aussi se racheter grace à son industrie, comme cela arrive souvent en Amrique.

Pauvret et esclavage ne sont donc que deux formes, on pourrait presque dire deux noms de la mÊme chose, dont l'essence est que les forces d'un homme sont employes en grande partie non pour lui-mÊme, mais pour d'autres : d'oÙ pour lui, d'une part, surcharge de travail, de l'autre, maigre satisfaction de ses besoins. Car la nature n'a donn à l'Être humain que les forces ncessaires pour tirer sa nourriture du sol, en faisant d'elles un usage modr ; il n'en a guÈre de superflues. En consquence, si un nombre assez considrable d'hommes sont dchargs du commun fardeau de subvenir à l'existence de la race humaine, le fardeau des autres est dmesurment accru, et ils sont malheureux. C'est la premiÈre source du mal qui, sous le nom d'esclavage ou sous celui de proltariat, a toujours accabl la grande majorit de la race humaine.

La seconde source, c'est le luxe. Pour qu'un petit nombre de personnes puissent avoir l'inutile, le superflu, le raffin, puissent satisfaire des besoins artificiels, une grosse part des forces humaines existantes doit Être employe à cet objet, et drobe à la production de ce qui est ncessaire, indispensable. Au lieu de batir des cabanes pour eux, des milliers de gens batissent des demeures magnifiques pour un petit nombre ; au lieu de tisser des toffes grossiÈres pour eux et pour les leurs, ils tissent des toffes fines, ou de soie, ou des dentelles, pour les riches, et confectionnent mille objets de luxe pour le plaisir de ceux-ci. Une grande partie de la population des villes se compose d'ouvriers de cette catgorie. Pour eux et leurs employeurs le paysan doit conduire la charrue, semer et faire paitre les troupeaux, et il a ainsi plus de travail que la nature ne lui en avait primitivement impos. En outre, il doit consacrer encore beaucoup de forces et de terrain à la culture du vin, de la soie, du tabac, du houblon, des asperges, etc., au lieu d'employer celles-là et celui-ci pour les crales, les pommes de terre, l'levage des bestiaux. De plus, une multitude d'hommes sont enlevs à l'agriculture et occups à la construction des vaisseaux, à la navigation, en vue de l'importation du sucre, du caf, du th, etc. La production de ces superfluits redevient ensuite la cause du malheur de ces millions d'esclaves noirs, qui sont arrachs par la violence à leur patrie, pour produire par leur sueur et leur martyre ces objets de jouissance. Bref, une grande partie des forces de la race humaine est enleve à la production de ce qui est ncessaire à l'ensemble, pour procurer au petit nombre ce qui est tout à fait superflu et inutile. Tant que le luxe existera, il y aura donc une somme correspondante d'excÈs de travail et de vie malheureuse, qu'on la nomme pauvret ou esclavage, qu'il s'agisse de proletarii ou de servi. La diffrence fondamentale entre les deux, c'est que l'origine des esclaves est imputable à la violence, celle des pauvres à la ruse. L'tat antinaturel tout entier de la socit, la lutte gnrale pour chapper à la misÈre, la navigation sur mer qui coÛte tant de vies humaines, les intrÊts commerciaux compliqus et enfin les guerres auxquelles tout cela donne naissance, - ces choses ont pour seule et unique racine le luxe, qui; loin de rendre heureux ceux qui en jouissent, les rend plutt malades et de mauvaise humeur. Le moyen le plus efficace d'allger la misÈre humaine serait donc de diminuer le luxe, et mÊme de le supprimer.

Il y a incontestablement beaucoup de vrit dans ce courant d'ides. Mais la conclusion en est rfute par un autre, que fortifie en outre le tmoignage de l'exprience. Ce que, par ces travaux consacrs au luxe, la race humaine perd en forces musculaires (irritabilit) pour ses besoins les plus indispensables, lui est peu à peu rendu au centuple par les forces nerveuses (sensibilit, intelligence) s'affranchissant (dans le sens chimique) prcisment à cette occasion. Comme celles-ci sont d'un ordre plus lev, leur action surpasse au centuple aussi l'action de celles-là :

(Euripide, Antiope). 

Un peuple compos uniquement de paysans dcouvrirait et inventerait peu de chose ; mais les mains oisives font les tÊtes actives. Les arts et les sciences sont eux-mÊmes enfants du luxe, et ils lui paient leur dette. Leur œuvre est ce perfectionnement de la technologie dans toutes ses branches, mcaniques, chimiques et physiques, qui, de nos jours, a port le machinisme à une hauteur qu'on n'aurait jamais souponne, et qui, notamment par la vapeur et l'lectricit, accomplit des merveilles que les temps antrieurs auraient attribues à l'intervention du diable. Dans les fabriques et manufactures de tout genre, et jusqu'à un certain point dans l'agriculture, les machines accomplissent mille fois plus de travail que n'auraient jamais pu en accomplir les mains de tous les gens à l'aise, des lettrs et des intellectuels devenus oisifs, et quil n'aurait pu s'en accomplir par l'abolition du luxe et par la pratique universelle de la vie campagnarde. Ce ne sont pas les riches seuls, mais tous, qui bnficient de ces industries. Des objets que jadis on pouvait à peine se procurer, se trouvent maintenant en abondance et à bon march, et l'existence des plus basses classes elles-mÊmes a beaucoup gagn en confort. Au moyen age, un roi d'Angleterre emprunta un jour une paire de. bas de soie à l'un de ses lords, pour donner audience à l'ambassadeur de France. La reine Elizabeth elle-mÊme fut trÈs heureuse et trÈs tonne de recevoir, en 1560, sa premiÈre paire de bas de soie comme prsent de nouvelle anne.  Aujourd'hui chaque commis de magasin en porte. Il y a cinquante ans, les dames s'habillaient de robes de coton qui sont portes aujourd'hui par les servantes. Si le machinisme continue dans la mÊme mesure ses progrÈs quelque temps encore, il en arrivera peut-Être à supprimer presque complÈtement l'usage de la force humaine, comme il a djà supprim en partie l'usage de la force chevaline. On pourrait alors concevoir une certaine culture intellectuelle gnrale de l'humanit, qui est impossible tant qu'une grande partie de celle-ci doit rester soumise à un pnible travail corporel. Irritabilit musculaire et sensibilit nerveuse sont toujours et partout, en gnral comme en particulier, en antagonisme : la raison en est que c'est une unique et mÊme force vitale qui rside au fond de l'une et de l'autre. Puisque, en outre, artes molliunt mores  , il est possible que les querelles grandes et petites, les guerres ou les duels, disparaissent de la terre. Celles-la et ceux-ci sont djà devenus beaucoup plus rares. Mais je ne me propose pas ici d'crire une Utopie.

En dehors toutefois de ces raisons, les arguments allgus plus haut en faveur de l'abolition du luxe et de la rpartition uniforme du travail corporel, sont sujets à l'objection que le grand troupeau humain, toujours et partout, a ncessairement besoin de guides, conducteurs et conseillers, sous formes diverses, suivant les circonstances ; ce sont les juges, gouverneurs, gnraux, fonctionnaires, prÊtres, mdecins, lettrs, philosophes, etc. Ils ont pour tache d'accompagner ce troupeau, si incapable et si pervers dans sa majorit, à travers le labyrinthe de la vie, dont chacun, suivant sa position et sa capacit, a dÛ se faire une ide plus ou moins large. Que ces guides soient affranchis du travail corporel aussi bien que des besoins vulgaires et des tracas de l'existence; que mÊme, en proportion de leurs services bien suprieurs, ils possÈdent plus et jouissent plus que l'homme vulgaire, - cela est naturel et rationnel. MÊme les grands ngociants doivent Être rangs dans cette classe privilgie, quand ils prvoient à longue chance les besoins de la population, et y pourvoient.

La question de la souverainet du peuple est au fond la mÊme que celle de savoir si un homme peut avoir le droit de gouverner un peuple contre sa volont. Comment pourrait-on soutenir raisonnablement cette ide ? Je ne le vois point. Sans doute, le peuple est souverain ; mais c'est un souverain toujours mineur, qui doit Être soumis à une tutelle ternelle et ne peut exercer lui-mÊme ses droits, sans provoquer des dangers normes. D'autant plus que, comme tous les mineurs, il devient facilement le jouet de coquins russ, que pour cette raison on nomme dmagogues.

Voltaire a dit :

La premier qui fut roi fut un soldat heureux.

Tous les princes ont videmment t à l'origine des chefs victorieux, et pendant longtemps c'est à ce titre seul qu'ils ont rgn. AprÈs l'tablissement des armes permanentes, ils considrÈrent le peuple comme destin à les nourrir, eux et leurs soldats, c'est-à-dire comme un troupeau sur lequel on veille, afin qu'il vous donne laine, lait et viande. Ceci rsulte, ainsi que je l'expliquerai plus loin, de ce qu'en vertu de la nature, c'est-à-dire originellement, ce n'est pas le droit, mais la violence, qui domine sur la terre; celle-ci a sur celui-là l'avantage primi occupantis. Aussi ne se laisse-t-elle pas abolir et s'obstine-t-elle à ne pas disparaitre complÈtement; toujours elle revendique sa place. Ce qu'on peut simplement dsirer et rclamer, c'est qu'elle soit du ct du droit et associe avec lui. En consquence, le prince dit à ses sujets :  Je rÈgne sur vous par la force. Ma force en exclut donc toute autre. Je n'en souffrirai en effet aucune autre auprÈs de la mienne, ni une force extrieure, ni, à l'intrieur, celle de l'un contre l'autre. Ainsi vous voilà protgs . Cet arrangement s'tant produit, la royaut s'est, avec les progrÈs du temps, dveloppe tout autrement, et a rejet l'ide antrieure dans l'arriÈre-fond, oÙ on la voit encore de temps en temps flotter à l'tat de spectre. Cette ide a t remplace par celle du roi pÈre de son peuple, et le roi est devenu le pilier ferme et inbranlable sur lequel seul reposent l'ordre lgal tout entier, par consquent les droits de tous, qui n'existent que de cette faon  . Mais un roi ne peut remplir ce rle qu'en vertu de sa prrogative inne, qui lui donne, et à lui seul, une autorit que n'gale aucune autre, qui ne peut Être ni conteste ni combattue, à laquelle chacun obit comme par instinct. Aussi dit-on avec raison qu'il rÈgne  par la grace de Dieu . Il est toujours la personne la plus utile de ltat, et ses services ne sont jamais trop chÈrement pays par sa liste civile, si leve qu'elle soit.

Mais Machiavel lui-mÊme est parti si dcidment de cette ancienne notion moyenageuse du prince, qu'il la traite comme une chose vidente par elle-mÊme; il la prsuppose tacitement et en fait la base de ses conseils. Son livre est tout bonnement l'expos de la pratique encore rgnante, ramene à la thorie et prsente dans celle-ci avec une logique systmatique; et cette pratique, sous sa nouvelle forme thorique et dans son achÈvement, revÊt un piquant intrÊt. On peut dire la mÊme chose, remarquons-le en passant, de l'immortel petit livre de La Rochefoucauld, qui a pour thÈme non la vie publique, mais la vie prive, et qui offre non des conseils, mais des observations. Le titre de ce merveilleux petit livre est en tout cas blamable : le plus souvent l'auteur ne donne ni des maximes, ni des rflexions, mais des aperus. C'est donc ce dernier titre qu'il devrait porter. Il y a d'ailleurs chez Machiavel mÊme beaucoup d'ides applicables aussi à la vie prive.

Le droit en lui-mÊme est impuissant; dans la nature rÈgne la force. Mettre celle-ci au service de celui-là, de maniÈre à fonder le droit au moyen de la force, c'est le problÈme que doit rsoudre l'art politique. Et c'est un problÈme difficile. On le reconnaitra, si l'on songe quel goÏsme illimit loge dans presque chaque poitrine humaine, goÏsme auquel s'ajoute le plus souvent un fonds accumul de haine et de mchancet, de sorte qu'originellement le (l'inimiti) l'emporte de beaucoup sur la (l'amiti). Et il ne faut pas oublier que ce sont de nombreux millions d'individus ainsi constitus qu'il s'agit de maintenir dans les limites de l'ordre, de la paix, du calme et de la lgalit, tandis qu'originellement chacun a le droit de dire à l'autre :  Ce que tu es, je le suis aussi . Ceci bien pes, on est en droit de s'tonner que les choses de ce monde aillent en somme d'une marche aussi tranquille et pacifique, quitable et rgle, que nous les voyons aller; c'est la machinerie de l'tat qui seule produit ce rsultat.

Ce n'est en effet que la force physique qui peut agir directement; constitus comme ils le sont en gnral, c'est pour elle seule que les hommes ont du sens et du respect. Si, pour s'en convaincre par exprience, on supprimait toute contrainte et si on leur reprsentait de la faon la plus claire et la plus persuasive ce qui est seul raisonnable, juste et bon, mais contraire à leurs intrÊts, on ne constaterait que l'impuissance des seules forces morales, et la rponse serait le plus souvent un rire de mpris. C'est donc la force physique seule qui est capable de se faire respecter. Or, cette force rside originellement dans la masse, oÙ elle est associe à l'ignorance, à la stupidit et à l'injustice. La premiÈre tache de l'art politique, dans des conditions si difficiles, est cependant de soumettre la force physique à l'intelligence, à la supriorit intellectuelle, et de la rendre utile. Mais si cette derniÈre n'est pas associe à la justice et à de bonnes intentions, le rsultat est que ltat ainsi organis se compose de dupeurs et de dupes. Ceci devient peu à peu vident par les progrÈs de l'intelligence de la masse, si fortement qu'on cherche à les entraver, et conduit à la rvolution. Mais si, au contraire, l'intelligence est associe à la justice et aux bonnes intentions, on arrive à un tat parfait, autant que peuvent Être parfaites les choses humaines. Il est trÈs utile à ce point de vue que la justice et les bonnes intentions non seulement existent, mais qu'elles soient dmontrables et publiquement exposes, de maniÈre à Être soumises au jugement et au contrle publics. Il faut toutefois empÊcher que cette participation de plusieurs personnes à l'œuvre gouvernementale n'affecte, à l'intrieur comme à l'extrieur, l'unit de l'tat, et ne fasse perdre à celui-ci en concentration et en force. C'est presque toujours le cas dans les rpubliques. Produire une constitution qui satisferait a toutes ces exigences, serait en consquence la tache la plus haute de l'art politique. Mais, en ralit, celui-ci doit compter aussi avec le peuple et avec ses particularits nationales. C'est la matiÈre premiÈre dont les lments exerceront toujours une forte influence sur la perfection de l'œuvre.

Ce sera djà beaucoup, si l'art politique pousse si loin sa tache, qu'il supprime la plus grande somme d'injustice dans la communaut. L'extirper totalement, c'est là le but idal qui ne peut Être qu'approximativement atteint. Si l'on extirpe l'injustice d'un ct, elle se faufile d'un autre ; car elle a de profondes racines dans la nature humaine. On cherche à atteindre ce but par la forme artificielle de la constitution et la perfection de la lgislation ; mais c'est une asymptote. La premiÈre raison en est que les notions tablies n'puisent pas tous les cas particuliers et ne peuvent Être ramenes aux cas individuels. Elles ressemblent aux pierres d'une mosaÏque, non aux coups de pinceau nuancs d'une peinture. En outre, toutes les expriences sont ici dangereuses, parce qu'on a affaire à la matiÈre la plus difficile à manier, la race humaine, qui offre presque autant de prils qu'un explosif.

A ce point de vue, la libert de la presse est pour la machine de ltat ce que la soupape de sÛret est pour la machine à vapeur. Elle permet à tous les mcontents de trouver bientt une voix, et si ces mcontents n'ont pas de trÈs grands griefs, cette voix s'teint vite. Mais si les griefs sont rels, il est bon qu'on les reconnaisse à temps, pour y porter remÈde. Cela vaut infiniment mieux que de laisser le mcontentement se concentrer, couver, fermenter, bouillonner et s'accroitre, jusqu'à ce qu'il se termine par une explosion. D'autre part, aussi, on peut envisager la libert de la presse comme la permission accorde de vendre du poison : poison pour l'esprit et pour le cœur. Que ne peut-on pas, en effet, faire entrer dans les tÊtes ignorantes et sans jugement de la multitude, surtout si l'on fait miroiter devant elles le profit et l'argent ? Et quand un homme a accueilli certaines ides, de quels crimes n'est-il pas capable ? Je crains donc beaucoup que les dangers de la libert de la presse ne l'emportent sur son utilit, là surtout oÙ les voies lgales permettent de se faire rendre justice. En tout cas, la libert de la presse devrait Être soumise à l'interdiction la plus svÈre de tout anonymat.

On pourrait admettre, d'une maniÈre gnrale, que le droit est d'une nature analogue à certaines substances chimiques, qu'on ne peut prsenter à l'tat pur et isol, mais tout au plus à l'aide d'un faible mlange avec d'autres substances qui leur servent de support, ou leur donnent la consistance ncessaire; il en est ainsi du fluor, mÊme de l'alcool, de l'acide prussique, etc. On peut dire que le droit aussi, s'il veut srieusement s'imposer et mÊme dominer, a ncessairement besoin d'une faible addition d'arbitraire et de force, pour parvenir, nonobstant sa nature purement idale et par consquent thre, à oprer et à subsister dans ce monde rel et matriel, sans s'vaporer et s'vanouir dans les nuages, comme cela arrive chez Hsiode  . Tout droit de naissance, tous privilÈges hrditaires, toute religion d'tat et maintes choses encore peuvent Être regards comme une base chimique ncessaire, ou un alliage de cette nature. C'est seulement, en effet, sur un fondement solide de cette espÈce, que le droit peut prvaloir et imposer logiquement ses prescriptions. Ce fondement serait donc en quelque sorte le   du droit.

Le systÈme vgtal artificiel et arbitraire de Linn ne peut Être remplac par un systÈme naturel, si raisonnable que serait celui-ci, et si frquemment qu'on l'ait tent; c'est qu'en effet le systÈme naturel n'offrirait jamais la certitude et la stabilit de dfinitions qu'offre le systÈme artificiel et arbitraire. De la mÊme faon, la base artificielle et arbitraire de la constitution de l'tat, telle qu'elle est indique plus haut, ne peut Être remplace par une base purement naturelle. Celle-ci, faisant abstraction des conditions mentionnes, substituerait aux privilÈges de la naissance ceux du mrite personnel, à la religion nationale les rsultats de la recherche rationaliste, et ainsi de suite. Or, si conformes à la raison que pourraient Être toutes ces choses, il leur manque cette certitude et cette fixit de dfinitions qui seules assurent la stabilit de la chose publique. Une constitution qui incarnerait seulement le droit abstrait, serait excellente pour d'autres Êtres que les hommes. Mais puisque la grande majorit de ceux-ci est profondment goÏste, injuste, inconsidre, menteuse, parfois mÊme mchante et doue de peu d'intelligence, il s'ensuit la ncessit d'un pouvoir concentr en un seul homme, au-dessus mÊme de la loi et du droit, absolument irresponsable, devant lequel tout se courbe, et dont le dtenteur soit considr comme un Être d'essence suprieure, comme un maitre par la grace de Dieu. C'est seulement ainsi que l'humanit se laisse brider et conduire.

Nous voyons d'autre part les tats-Unis de l'Amrique du Nord tenter de se tirer d'affaire sans cette base arbitraire, c'est-à-dire en laissant prvaloir le droit absolument sans alliage, pur, abstrait. Mais le rsultat n'est pas attrayant. Car, en dpit de toute la prosprit matrielle du pays, qu'y trouvons-nous comme sentiment prdominant ? Le vil utilitarisme avec sa compagne invitable, l'ignorance, qui a fray la voie à la stupide bigoterie anglicane, aux sots prjugs, à la grossiÈret brutale associe à la niaise vnration pour les femmes. Et mÊme des choses pires y sont à l'ordre du jour : l'esclavage rvoltant des nÈgres, uni à la plus excessive cruaut contre les esclaves, la plus injuste oppression des noirs libres, la loi de Lynch, les meurtres frquents et souvent impunis, les duels d'une sauvagerie inouÏe, le mpris de temps en temps affich du droit et des lois, la rpudiation des dettes publiques, l'escroquerie politique abominable d'une province voisine, suivie de raids rapaces sur son riche territoire, raids que le chef de l'tat cherche ensuite à excuser par des mensonges que chacun, dans le pays, sait Être tels, et dont on se moque. Ajoutez à cela l'ochlocratie toujours montante, et, finalement, l'influence dsastreuse que la dngation de la justice dans les hautes sphÈres doit exercer sur la moralit prive. Ce spcimen d'une constitution purement fonde sur le droit, du ct oppos de la planÈte, parle peu en faveur des rpubliques, et moins encore les imitations de ce spcimen au Mexique, au Guatmala, en Colombie et au Prou.

Un dsavantage tout particulier des rpubliques, auquel on ne s'attendrait pas, est aussi celui-ci, qu'il doit y Être plus difficile aux intelligences suprieures d'arriver à de hautes situations, et, par là, à une influence politique directe, que dans les monarchies. Partout et toujours, en effet, dans toutes les circonstances, il y a une conspiration, ou une alliance instinctive, des intelligences bornes, dbiles et vulgaires, contre les intelligences suprieures; celles-là font bloc, par suite d'une crainte commune, contre celles-ci. Il est facile au grand nombre des premiÈres, sous une constitution rpublicaine, de supprimer et d'exclure les derniÈres, pour ne pas Être dbordes par elles. Ne sont-elles pas, en vertu du mÊme droit originel, toujours cinquante contre une ?

Dans une monarchie, au contraire, cette ligue naturelle et universelle des tÊtes bornes contre les tÊtes privilgies n'existe que d'un ct, - en bas. D'en haut, au contraire, l'intelligence et le talent reoivent des encouragements et une protection galement naturels. En premier lieu, la situation du monarque est beaucoup trop haute et trop solide, pour qu'il ait à craindre une comptition quelconque. D'autre part, lui-mÊme sert ltat plus par sa volont que par son intelligence, qui ne peut absolument suffire à toute les taches qui lui incombent. Il doit donc toujours recourir à l'intelligence d'autrui. Voyant que son propre intrÊt est troitement li à celui de son pays, qu'il en est insparable et ne fait qu'un avec lui, il donnera naturellement la prfrence aux hommes les meilleurs, parce qu'ils sont ses plus utiles instruments; il lui suffira de les trouver, ce qui ne lui est pas trÈs difficile, s'il les cherche sincÈrement. Dans le mÊme ordre d'ides, les ministres ont une trop grande avance sur les hommes politiques qui se mettent en lumiÈre, pour les jalouser; et, en vertu de raisons analogues, ils discerneront volontiers les hommes distingus et les mettront à l'œuvre, pour utiliser leurs aptitudes. Ainsi, de cette faon, l'intelligence a, dans les monarchies, toujours de bien plus grandes chances contre son ennemie irrconciliable et omniprsente, la sottise, que dans les rpubliques. Et c'est là un avantage considrable.

La forme gouvernementale monarchique est naturelle à l'homme, à peu prÈs comme elle l'est aux abeilles et aux fourmis, aux grues voyageuses, aux lphants nomades, aux loups et aux autres animaux runis pour leurs razzias, qui tous placent un seul d'entre eux à leur tÊte. Chaque entreprise humaine prilleuse, chaque expdition militaire, chaque vaisseau doit de mÊme obir à l'autorit d'un seul chef; il faut qu'il y ait partout une seule volont dirigeante. MÊme l'organisme animal est construit sur un principe monarchique : c'est le cerveau seul qui guide et gouverne, qui est l (la facult directrice). Bien que le cœur, les poumons et l'estomac contribuent beaucoup plus au maintien de l'ensemble, ici ces philistins ne peuvent guider ni gouverner. C'est l'affaire du cerveau seul; la direction doit venir d'un seul point. Le systÈme plantaire lui-mÊme est monarchique. Le systÈme rpublicain est pour l'homme aussi contre nature qu'il est dfavorable à la vie intellectuelle suprieure, aux arts et aux sciences. Aussi voyons-nous que partout et de tout temps, dans le monde, les peuples, civiliss ou sauvages, ou occupant une situation intermdiaire, ont t gouverns monarchiquement :

(Iliade, chant II, vers 204). 

Autrement, comment serait-il possible que nous vissions partout et de tout temps des millions d'hommes - mÊme des centaines de millions - se soumettre et obir volontairement à un seul, parfois mÊme à une femme, provisoirement aussi à un enfant, si l'homme ne possdait pas au fond de lui un instinct monarchique qui le pousse vers cette forme de gouvernement, comme vers celle qui lui convient le mieux ? Ceci en effet n'est pas le produit de la rflexion. Partout un homme est le roi, et sa dignit est gnralement hrditaire. Il est en quelque sorte la personnification, ou le monogramme, du peuple entier, qui revÊt par lui une individualit. En ce sens, il peut mÊme dire à juste titre :  ltat, c'est moi . C'est pour cette raison que nous voyons, dans les drames historiques de Shakespeare, les rois d'Angleterre et de France s'interpeller mutuellement par les noms de  France  et  Angleterre , et appeler  Autriche  le duc de ce pays  ; cela vient de ce qu'ils se regardent en quelque sorte comme lincarnation de leurs nationalits. Tout cela est conforme à la nature humaine; et, pour cette raison, le monarque hrditaire ne peut absolument pas sparer son bonheur ni celui de sa famille de celui du pays. C'est au contraire le cas le plus frquent dans les monarchies lectives, comme le montrent les tats de l'glise. Les Chinois ne peuvent se faire une ide que du gouvernement monarchique; ils ne comprennent nullement ce que c'est qu'une rpublique. Quand, en 1658, une ambassade hollandaise arriva en Chine, elle se vit force de prsenter le prince d'Orange comme roi du pays; autrement, les Chinois auraient t tents de prendre la Hollande pour un nid de pirates qui vivaient sans chef  . Stobe, dans un chapitre de son FlorilÈge, intitul : (t. II, pp. 256-263, dit. cite), a runi les meilleurs passages oÙ les anciens exposent les avantages de la monarchie. Bref, les rpubliques sont contre nature, artificielles, un produit de la rflexion; aussi ne constituent-elles que de rares exceptions dans l'histoire universelle. Il y a les petites rpubliques grecques, les rpubliques romaine et carthaginoise, rendues possibles aussi par le fait que les cinq sixiÈmes, peut-Être mÊme les sept huitiÈmes de la population, taient des esclaves. Les tats-Unis d'Amrique ne comptaient-ils pas eux aussi, en 1840, sur 16 millions d'habitants, 3 millions d'esclaves ? En outre, la dure des rpubliques de l'antiquit, compare à celle des monarchies, a t trÈs courte. Il est facile de fonder les rpubliques, mais difficile de les maintenir. C'est exactement le contraire avec les monarchies.

Si l'on veut des plans utopiques, voici le mien : l'unique solution du problÈme serait le despotisme des sages et des nobles d'une vritable aristocratie, d'une vritable noblesse, en vue de la gnration, par le mariage des males les plus dignes avec les femmes les plus intelligentes et les plus intellectuelles. Cette ide est mon Utopie, ma Rpublique de Platon.

Les rois constitutionnels ont une ressemblance incontestable avec les dieux dpicure, qui goÛtent dans les hauteurs de leur empyre une flicit et un calme parfaits, sans se mÊler des affaires humaines. Ils sont maintenant à la mode. Toute principaut allemande de douziÈme ordre offre une parodie complÈte de la constitution anglaise, avec Chambre haute et Chambre basse, y compris l'Habeas corpus et l'institution du jury. Ces formes, qui procÈdent du caractÈre anglais et des conditions historiques anglaises, et qui prsupposent celui-là et celle-ci, sont naturelles et accommodes au peuple anglais. Mais il est tout aussi naturel pour le peuple allemand d'Être partag en beaucoup de souches soumises à autant de princes rgnants, avec, à leur tÊte, un empereur qui maintient la paix au dedans et reprsente au dehors l'unit du royaume; car cet arrangement procÈde du caractÈre et des conditions historiques des Allemands. Je suis d'avis que si lAllemagne ne veut pas subir le mÊme destin que l'Italie, elle doit rtablir, et aussi effectivement que possible, la dignit impriale, supprime par son ennemi acharn, le premier Bonaparte. Car l'unit allemande dpend d'elle et sera toujours, sans elle, simplement nominale, ou prcaire. Mais comme nous ne vivons plus au temps de Gunther de Schwarzbourg  , oÙ le choix de l'empereur tait une affaire srieuse, la couronne impriale devrait passer alternativement, à vie, à l'Autriche et à la Prusse. En tout cas, la souverainet absolue des petits tats est illusoire. Napolon Ier a fait pour l'Allemagne ce qu'a fait Charlemagne pour l'Italie : il l'a partage en beaucoup de petits tats indpendants, d'aprÈs le principe divide et impera.

Les Anglais montrent aussi leur grande intelligence en ceci, qu'ils restent religieusement attachs à leurs anciennes institutions, mœurs et coutumes, au risque de pousser trop loin, et jusqu'au ridicule, cette tnacit. C'est que, pour eux, ces choses-là ne sont pas l'invention d'un cerveau oisif, mais naissent graduellement de la force des circonstances et de la sagesse de la vie mÊme, et leur conviennent consquemment, en tant que nation. D'autre part, le Michel allemand  s'est laiss insinuer par son maitre d'cole qu'il doit revÊtir un vÊtement anglais, que cela ne va pas autrement; il finit donc par l'obtenir de papa, et, avec ses maniÈres gauches et ses gestes emprunts, y fait une figure assez ridicule. Mais ce n'est pas tout : ledit vÊtement finira par le serrer et par l'incommoder beaucoup encore, et c'est le jury qui amÈnera tout d'abord ce rsultat.

Cette institution, ne dans la priode la plus barbare du moyen Age anglais, au temps du roi Alfred le Grand, alors que la connaissance de la lecture et de l'criture exemptait encore un homme de la peine de mort, est la pire de toutes les procdures criminelles. Au lieu de juges savants et expriments, qui ont vieilli à dmÊler journellement les mensonges et les ruses des assassins, voleurs et coquins de toute espÈce, et sont ainsi capables d'aller au fond des choses, nous voyons siger des tailleurs et des tanneurs; c'est leur lourde et grossiÈre intelligence, sans culture, pas mÊme capable d'une attention soutenue, qui est appele à dmÊler la vrit du tissu dcevant de l'apparence et de l'erreur. Tout le temps, de plus, ils songent à leur drap et à leur cuir, aspirent à rentrer chez eux, et n'ont absolument aucune notion claire de la diffrence entre la probabilit et la certitude. C'est avec cette sorte de calcul des probabilits dans leurs tÊtes stupides, qu'ils dcident en confiance de la vie des autres.

On peut leur appliquer ce que disait Samuel Johnson au sujet d'un conseil de guerre runi pour une affaire importante, et auquel il se fiait peu : que peut-Être pas un seul de ses membres n'avait jamais pass, dans le cours de sa vie, mÊme une heure à peser en lui-mÊme des probabilits   ! Mais les jurs en question, affirme-t-on, sont si impartiaux ! - Le malignum vulgus que voilà ! - Comme si la partialit ne serait pas dix fois plus à craindre d'hommes de la mÊme classe que l'accus, que de juges qui lui sont complÈtement trangers, qui vivent dans de tout autres sphÈres, sont inamovibles, et conscients de leur dignit ? Mais laisser le jury juger les crimes contre ltat et son chef, ou les mfaits de la presse, c'est rellement donner la brebis à garder au loup.

En tout lieu et en tout temps, gouvernements, lois et institutions publiques ont soulev de vifs mcontentements. La principale raison en est qu'il existe une tendance gnrale à leur imputer la misÈre insparable de l'existence humaine, puisque, pour parler mythiquement, elle est la maldiction inflige à Adam, et, en mÊme temps, à toute sa race. Mais jamais cette fausse assertion n'a t prsente d'une maniÈre plus mensongÈre et plus impudente que par les dmagogues du  temps prsent . Comme ennemis du christianisme, ils sont optimistes; le monde est pour eux son  propre but ; par consquent, en lui-mÊme, c'est-à-dire d'aprÈs sa constitution naturelle, il est excellemment arrang, et forme un sjour de bndiction. Les maux normes et criants qui s'y manifestent, ils les attribuent uniquement aux gouvernements; si ceux-ci faisaient leur devoir, le ciel existerait sur la terre, c'est-à-dire que tous les hommes pourraient s'empiffrer, se soÛler, se propager et crever, sans effort ni peine. Ceci est la paraphrase de leur monde qui est son  propre but  et le point d'aboutissement du  progrÈs indfini de l'humanit , qu'ils proclament en phrases pompeuses, d'une voix infatigable.

Jadis, c'tait la foi qui servait avant tout d'appui au trne; aujourd'hui, c'est le crdit. ll est probable que le pape lui-mÊme fait plus de cas de la confiance de ses cranciers que de celle de ses croyants. Si l'on dplorait autrefois les pchs du monde, on envisage aujourd'hui avec terreur les dettes de ce monde, et, de mÊme que jadis on prophtisait le jugement dernier, on prophtise aujourd'hui la future grande [texte grec illisible], l'universelle banqueroute des nations, avec, dans ce cas comme dans l'autre, le ferme espoir de ne pas en Être tmoin soi-mÊme.

Au point de vue thique et rationnel, le droit de proprit est incomparablement mieux fond que le droit de naissance. Cependant le premier est intimement li au second, et il serait difficile de vouloir les sparer, sans mettre en pril celui-là. La raison en est que la plus grande partie de la proprit provient d'hritage, et constitue en consquence aussi une sorte de droit de naissance. C'est ainsi que l'ancienne noblesse porte seulement le nom de la proprit patrimoniale, c'est-à-dire que, parce nom, elle exprime seulement sa possession. Aussi tous les possdants, s'ils taient intelligents au lieu d'Être envieux, devraient-ils tenir galement au maintien des droits de naissance.

La noblesse a donc cette double utilit d'aider à soutenir, d'une part, le droit de proprit, et, d'autre part, le droit de naissance du roi. Car le roi est le premier gentilhomme du pays, et il traite aussi, en rÈgle gnrale, le noble comme un modeste parent et tout autrement que le bourgeois, si loin qu'aille sa confiance envers celui-ci. Il est aussi tout naturel qu'il se fie davantage à ceux dont les ancÊtres ont t pour la plupart les premiers serviteurs et ont toujours constitu l'entourage immdiat de ses ancÊtres à lui. Un gentilhomme fait donc appel avec raison au nom qu'il porte, quand, ayant peut-Être fourni matiÈre à un soupon, il ritÈre au roi l'assurance de sa fidlit et de son dvouement. Comme mes lecteurs le savent, c'est du pÈre que s'hrite le caractÈre  . C'est le fait d'un esprit ridiculement born, de se refuser à examiner de qui un homme est le fils.

Toutes les femmes, à peu d'exceptions prÈs, inclinent à la prodigalit. Aussi faut-il assurer contre leur folie toute fortune acquise, à part les cas assez rares oÙ elles l'ont acquise elles-mÊmes. Voilà pourquoi je suis d'avis que les femmes ne sont jamais complÈtemont majeures, mais devraient toujours Être soumises à la tutelle de l'homme, celle du pÈre, du mari, du fils, - ou de l'tat, comme dans l'lnde. La consquence, c'est qu'elles ne devraient jamais pouvoir disposer, de leur libre autorit, d'une fortune qui ne leur appartient pas en propre. Qu'une mÈre puisse devenir tutrice et administratrice de la part hrditaire paternelle de ses enfants, ceci m'apparait comme un non sens impardonnable et une abomination. Dans la grande majorit des cas, cette femme mangera avec son amant - qu'elle l'pouse ou non - ce que le pÈre a, par le travail de toute sa vie, pargn pour ses enfants, et aussi pour elle. PÈre HomÈre nous donne djà cet avertissement :

(Odysse, chant XV, vers 20-23.) 

La mÈre devient souvent, aprÈs la mort du mari, une belle-mÈre. Or, ce sont les belles-mÈres seules qui jouissent du si mauvais renom qui a donn naissance au terme de  maratre . Ce renom, elles le possdaient djà au temps d'Hrodote  (Histoires, livre IV, 154), et ont su se le conserver depuis. Les beaux-pÈres, au contraire, n'ont jamais t eu jeu. Quoi qu'il en soit, une femme, ayant toujours besoin d'une tutelle, ne peut jamais Être tutrice. En tout cas, une femme qui n'a pas aim son mari n'aimera pas non plus les enfants qu'elle a eus de lui, surtout aprÈs qu'est pass le temps de l'amour maternel purement instinctif, dont on ne peut lui tenir compte au point de vue moral. Je suis en outre d'avis qu'en justice le tmoignage d'une femme, cæteris paribus, devrait avoir moins de poids que celui d'un homme; ainsi, par exemple, deux tmoins masculins devraient valoir trois, et mÊme quatre tmoins fminins. Car je crois que l'espÈce fminine, prise en masse, profÈre chaque jour trois fois autant de mensonges que l'espÈce masculine, et cela avec un air de vraisemblance et de sincrit auquel ne peuvent parvenir les hommes. Les mahomtans, d'autre part, exagÈrent en sens contraire. Un jeune Turc cultiv me disait un jour:  Nous considrons la femme uniquement comme le sol oÙ l'on dpose la semence. Aussi leur religion est-elle indiffrente. Nous pouvons pouser une chrtienne, sans exiger qu'elle se convertisse . Comme je lui demandais si les derviches taient maris :  Cela va de soi, me rpondit-il; le ProphÈte tait mari, et ils ne peuvent avoir la prtention d'Être plus saints que lui .

Ne vaudrait-il pas mieux qu'il n'y eÛt pas de jours fris, et qu'il y eÛt à la place beaucoup d'heures fries ? Quelle action bienfaisante n'exerceraient pas les seize heures de l'ennuyeux et, par là mÊme, dangereux dimanche, si douze d'entre elles taient rparties sur tous les jours de la semaine ! Deux exercices religieux suffiraient amplement au dimanche; on ne lui en consacre presque jamais davantage, et on en consacre moins encore à la mditation pieuse. Les anciens n'avaient pas non plus de jour de repos hebdomadaire. Mais, à dire vrai, il serait trÈs difficile d'assurer rellement aux gens, contre les empiÈtements du dehors, la possession des deux heures quotidiennes de loisir ainsi achetes.

Le juif-errant Ahasvrus n'est autre chose que la personnification du peuple juif tout entier. S'tant comport criminellement à l'gard du Sauveur et Rdempteur du monde, il ne doit jamais Être affranchi de la vie terrestre et de son fardeau, et se trouve condamn, de plus, à errer sans patrie à l'tranger. C'est prcisment là le crime et la destine du petit peuple juif, qui, chose vraiment merveilleuse, chass depuis bientt deux mille ans de son ancien sjour, continue à exister et à errer sans patrie ; tandis qu'un si grand nombre de peuples glorieux, auprÈs desquels on ne peut mÊme pas mentionner l'insignifiante petite nation en question, Assyriens, MÈdes, Perses, Phniciens, gyptiens, Etruriens, etc., sont entrs dans l'ternel repos et ont complÈtement disparu. C'est ainsi qu'aujourd'hui encore on trouve sur toute la surface de la terre cette gens extoris, ce Jean sans Terre des peuples. Nulle part chez lui, tranger nulle part, il maintient avec un entÊtement sans exemple sa nationalit. En souvenir d'Abraham, qui vivait en tranger à Chanaan, mais devint peu à peu, conformment aux promesses de son Dieu, maitre de tout le pays (MoÏse, livre I, chap. XVII, 8), il voudrait bien aussi prendre solidement pied quelque part et pousser des racines, pour possder de nouveau un pays, faute duquel un peuple est une balle lance en l'air  . Jusque là il vit en parasite aux dpens des autres peuples et sur leur sol, mais n'en est pas moins possd du plus ardent patriotisme pour sa propre nation. Il le rvÈle par l'union la plus troite et la plus solide, en vertu de laquelle tous sont pour un et un est pour tous ; de sorte que ce patriotisme sans patrie exerce une action plus enthousiaste qu'aucunn autre. La patrie du juif, ce sont les autres juifs; aussi combat-il pour eux, comme pro ard et focis, et nulle communaut sur la terre n'est aussi troitement unie que celle-ci. Il ressort de là combien il est absurde de vouloir leur attribuer une part dans le gouvernement ou dans l'administration de n'importe quel tat. Leur religion, fondue dÈs l'origine dans leur tat, et formant un tout avec lui, n'est nullement le principe, mais plutt seulement le lien qui les unit, leur  point de ralliement  , et le signe distinctif auquel ils se reconnaissent. Ceci se montre encore en ce que mÊme le juif baptis, loin d'attirer sur lui, comme en gnral les apostats, la haine et le mpris des autres juifs, ne cesse pas, en rÈgle gnrale,- si lon en excepte quelques orthodoxes, - d'Être leur ami et leur compagnon, et de les considrer eux-mÊmes comme ses vritables compatriotes. MÊme pour la clbration rguliÈre et solennelle de la priÈre, qui exige, chez les juifs, la prsence de dix personnes, l'une d'elles peut Être remplace par un juif baptis, mais non par un chrtien proprement dit. De mÊme pour tous leurs autres actes religieux. La chose apparaitrait plus clairement encore, si le christianisme venait à sombrer et à disparaitre : les juifs ne cesseraient pas pour cela de faire bloc, en tant que juifs. C'est donc une maniÈre de voir trÈs superficielle et trÈs fausse, que de considrer les juifs uniquement comme secte religieuse. Mais si, pour favoriser cette erreur, on qualifie, par une expression emprunte à l'glise chrtienne, le judaÏsme de  confession juive , c'est là une expression radicalement fausse, employe à dessein pour induire en erreur, qui devrait Être absolument interdite,  Nation juive  est le terme exact. Les juifs n'ont pas de confession : le monothisme appartient à leur nationalit et à leur constitution politique, et, chez eux, se comprend de luimÊme. Oui, cela est bien entendu, le monothisme et le judaÏsme sont des notions rciproques.

Les dfauts connus des juifs, inhrents à leur caractÈre national, sont peut-Être surtout imputables à la longue et injuste oppression qu'ils ont subie. (De ces dfauts, le plus apparent est l'absence tonnante de tout ce qu'on entend par le mot verecundia, et cette lacune sert plus dans le monde que peut-Être une qualit positive). Mais, si cela excuse ces dfauts, cela ne les supprime pas. J'approuve absolument le juif raisonnable qui, rejetant les vieilles fables, les bourdes et les prjugs d'antan, sort par le baptÊme d'une communaut oÙ il ne trouve ni honneur ni avantage, - bien qu'exceptionnellement ce dernier, - mÊme s'il ne prend pas trÈs au srieux la foi chrtienne. En est-il bien diffremment de chaque jeune chrtien qui rcite son Credo lors de sa confirmation ? Pour pargner toutefois au juif den venir là aussi, et pour en finir de la faon la plus douce possible avec cet tat de choses tragi-comique, le meilleur moyen est assurment de permettre, et mÊme de favoriser les mariages entre juifs et chrtiens ; lglise ne pourrait rien y objecter, puisqu'ils ont pour eux l'autorit de l'aptre lui-mÊme (PremiÈre pitre de saint Paul aux Corinthiens, chap. VII, 12-16). Alors, au bout de cent et quelques annes, il n'y aura plus que trÈs peu de juifs, puis, bientt aprÈs, le spectre sera complÈtement conjur, Ahasvrus enseveli, et le peuple lu ne saura pas lui-mÊme oÙ il est rest. Ce rsultat dsirable chouera toutefois, si l'on pousse si loin l'mancipation des juifs, qu'on leur accorde des droits politiques, cest-à-dire qu'on leur permette de participer à l'administration et au gouvernement des nations chrtiennes. Car c'est seulement alors qu'ils seront et resteront juifs con amore. Qu'ils jouissent des mÊmes droits civils que les autres, l'quit le rclame; mais leur accorder une part dans l'tat, c'est absurde : ils sont et restent un peuple tranger, oriental, et ne doivent jamais Être regards que comme des trangers tablis dans un pays. Quand, il y a environ vingt-cinq ans, la question de l'mancipation des juifs fut dbattue au Parlement anglais, un orateur posa le cas hypothtique suivant : Un juif anglais arrive à Lisbonne, oÙ il rencontre deux hommes rduits à la derniÈre dtresse, mais dont il a toutefois le pouvoir de sauver l'un. Personnellement, tous deux lui sont inconnus. L'un est un Anglais chrtien, l'autre un Portugais juif. Lequel des deux sauvera-t-il ? - Je crois qu'aucun chrtien perspicace, comme nul juif sincÈre, ne sera en doute sur la rponse. Mais celle-ci donne la mesure quant aux droits à accorder aux juifs.

En aucune circonstance la religion n'intervient aussi directement et visiblement dans la vie pratique et matrielle, qu'en matiÈre de serment. Il est vraiment facheux que la vie et la proprit de l'un dpendent ainsi des convictions mtaphysiques d'un autre. Mais si un jour, comme on est on droit de s'en proccuper, toutes les religions sombraient et toute foi disparaissait, qu'adviendrait-il du serment ? Il vaut donc la peine de rechercher s'il n'y a pas une signification du serment purement morale, indpendante de toute foi positive, et cependant rductible à des notions claires, qui, comme un sanctuaire d'or pur, pourrait survivre a cet incendie universel de l'glise ; cette signification apparaitrait toutefois un peu nue et sÈche, à ct de la pompe et du langage nergique du serment religieux.

Le but incontest du serment est de remdier uniquement par la voie morale à l'habitude frquente de la fausset et du mensonge chez L'homme, en rehaussant par une considration extraordinaire, en portant vivement à sa conscience l'obligation morale, reconnue par lui, de dire la vrit. Je vais tacher d'exposer clairement, conformment à mon thique, le sens purement moral, dgag de tout accessoire transcendant et mythique, d'une telle mise en relief de ce devoir.

J'ai tabli dans le Monde comme volont et comme reprsentation, et plus en dtail, dans mon Mmoire couronn sur le Fondement de la morale, le principe paradoxal, mais vrai, qu'en certains cas l'homme a le droit de mentir; et ce principe, je l'ai appuy sur une base et des explications srieuses. Les cas prvus taient d'abord ceux oÙ il aurait le droit d'employer la force contre les autres, puis, ensuite, ceux oÙ on lui adresserait des questions absolument hors de lieu, dont la teneur, qu'il refuse d'y rpondre ou qu'il y rponde au contraire trÈs sincÈrement, est de telle nature qu'elle serait pour lui une source de danger. Prcisment parce que, en pareils cas, on est incontestablement autoris à ne pas dire la vrit, il faut, dans les circonstances importantes dont la solution dpend de la dclaration d'un homme, comme dans les promesses dont l'accomplissement est d'une grande importance, d'abord que celui-ci affirme on termes formels et solennels qu'il ne rencontre pas ici les cas dont il s'agit; qu'il sache et se rendu compte, par consquent, qu'on ne lui fait aucune violence ou aucune menace, et que le droit seul est en jeu; et, galement, qu'il regarde la question à lui adresse comme pleinement autorise, en ajoutant qu'il est conscient de l'action que sa dclaration va exercer sur celle-ci, Cet expos implique que s'il ment dans ces circonstances, il commet consciemment une grosse faute : ne lui a-t-on pas donn, en comptant sur son honnÊtet, pleins pouvoirs pour ce cas, qu'il peut faire servir à la cause de l'injuste ou du juste ? S'il ment, il constate clairement qu'il est un de ces individus qui, ayant le libre choix, met celui-ci, aprÈs la plus calme dlibration, au service de l'injuste. Le parjure commis lui fournit ce tmoignage sur lui-mÊme. A cela s'ajoute la circonstance que nul homme n'tant affranchi de quelque besoin mtaphysique, chacun porte aussi en soi la conviction, mÊme obscure, que le monde n'a pas seulement une signification physique, mais a aussi une signification mtaphysique quelconque, et mÊme aussi que notre action individuelle, d'aprÈs sa simple moralit, a, par rapport à cette signification, des consquences toutes diffrentes et beaucoup plus importantes que celles qui rsultent de son activit empirique, et qu'elle est, en ralit, d'une importance transcendante. Je renvoie à ce sujet à mon Mmoire couronn sur le Fondement de la morale, 21. J'ajoute seulement que l'homme qui refuse à sa propre action toute autre signification que celle de l'empirisme, n'tablira jamais cette affirmation sans prouver une contradiction intrieure et sans exercer une contrainte sur lui-mÊme. L'invitation à prÊter serment place expressment l'homme au point de vue oÙ il doit se regarder, c'est-à-dire uniquement comme un Être moral, avec la conscience de la haute importance pour lui-mÊme de ses dcisions en cet ordre d'ides ; celles-ci doivent carter toutes les autres considrations, au point de les faire complÈtement disparaitre.

Ceci dit, peu importe si la conviction d'une signification mtaphysique et en mÊme temps morale de notre existence, ainsi excite chez nous, est simplement à l'tat vague, ou revÊtue de toutes sortes de mythes et de fables qui lui donnent de l'animation, ou claire par la lumiÈre du penser philosophique ; d'oÙ cette seconde consquence, que peu importe, au fond, si la formule du serment exprime un rapport mythologique, ou est complÈtement abstraite, comme, en France, le :  Je le jure . La formule devrait Être choisie d'aprÈs le degr de culture intellectuelle de celui qui prÊte serment; ne la choisit-on pas aussi conformment à la foi positive qu'il professe ? La chose ainsi considre, on pourrait mÊme trÈs bien admettre à prÊter serment un homme qui ne professerait aucune religion.



En franais dans le texte.

 Vous menlevez la vis, si vous menlevez les moyens par lesquels je vis .

 Combien il est prfrable de subir un maitre, que de vivre pauvre en qualit dhomme libre ! 

 Un seul conseil sage lemporte sur le travail dun grand nombre de mains .

Voir DIsraeli. Curiosities of Literature, au chapitre : Anecdotes of Fashion.

 Les arts amollissent les mœurs .

Stobe dit, FlorilÈge, t. II, p. 201, dit. cite :

(Ctait chez les Perses une loi que, quand un roi mourait, il y avait cinq jours

danarchie, afin que le peuple pÛt apprcier le bienfait dun roi et de la loi).

Schopenhauer fait sans aucun doute allusion aux vers suivants, les seuls dHsiode qui puissent sappliquer à lide en jeu :

[Texte grec illisible]

Les Travaux et les Jours, vers 254-258.

(La Justice, cette vierge divine, fille de Jupiter, est auguste et respecte parmi les habitants de lOlympe. Si quelquun lui fait injure et linsulte, aussitt elle va sasseoir prÈs de son pÈre : elle se plaint à lui de la malice des hommes et demande vengeance).  (Le trad.)

 Donne-moi un levier .

Ce nest pas une bonne chose que le gouvernement de plusieurs. Il faut un seul chef, un seul roi .

Le roi Jean, acte III, scÈne I.

Voir Jean Nieuhoff, LAmbassade de la compagnie orientale des Provinces-Unies vers lempereur de la Chine (traduction par Jean le Charpentier), Leydem 1665, chap. XLV.

Brave chevalier allemand, qui avait mis son pe au service de lempereur Louis et de son fils, le margrave de Brandebourg. Les Wittelsbach lopposÈrent à lempereur Charles IV et llurent, non empereur, mais roi des Romains, à Francfort, le 30 janvier 1349. Il ne put toutefois rsister à son rival, qui le vainquit à Eltville, et il abdiqua le 20 mai 1349, en change de 20.000 marks dargent. Il mourut trois semaines aprÈs, le 14 juin, peut-Être empoisonn, à lage de quarante-cinq ans. Il fut inhum dans la cathdrale de Francfort, oÙ lon voit encore sa curieuse pierre tombale, peinte et dore. (Le trad.)

On sait que ce surnom de  Michel  personnifie lancienne lourdeur er lex-bonhomie nonchalante et peu pratique des Allemands (car tout cela est bien chang aujourdhui), comme  John Bull  personnifie les Anglais, et  Jonhatan  les Amricains du Nord. (Le trad.)

Boswell, Life of Johnson, anne 1780, alors que son hros avait soixante et onze ans.

Cest là une thorie chÈre à notre philosophe et quil dveloppe longuement dans le Monde comme volont et comme reprsentation (Supplment au livre III, chap. XLIII). Il affirme non seulement que les penchants, les aptitudes sont hrditaires, et que le fils est ce qutait le pÈre, mais il prtend dterminer, dans la transmission des qualits morales, la part de chacun des deux gniteurs. Le pÈre fournit llment primordial et fondamental de tout Être vivant, le besoin dagir, la volont; la mÈre, lintelligence, facult dailleurs secondaire. Il va de soi que Schopenhauer trouve facilement dans lhistoire des faits qui semblent tayer sa thorie. Que, par exemple, Domitien ait t le vrai frÈre de Titus,  cest ce que je ne croirai jamais, dit-il, et jincline à mettre Vespasien au rang des maris tromps . Tout ce chapitre, en dpit de ses assertions hasardes, est curieux et instructif. (Le trad.)

 Tu sais quelle ame renferme le sein dune femme. Elle aspire toujours à augmenter les domaines de celui dont elle devient lpouse. Le souvenir de ses premiers enfants, du mari dfunt, sefface, et jamais elle ne dinforme de ceux qui lui ont t si chers. 

Il sagit de la seconde femme dElarque, roi dAxos, qui,  aussitt dans la maison, fut pour Phronime (fille du premier mariage) une maratre, la maltraitant et toujours machinant quelque chose contre elle : finalement, elle laccusa dimpudicit, et se fit croire de son mari . Celui-ci obtint par serment dun marchand, son hte, la promesse quil jetterait la jeune fille à la mer; mais le marchand, pour satisfaire au serment que le roi lui avait arrach par surprise, mit à la voile, et, en pleine mer, attacha Phronime avec des cables, la jeta dans les flots, len retira et la conduisit chez lui. (Le trad.)

MoÏse (livre IV, chap. XIII et suiv., et livre V, chap. II) nous donne un exemple instructif des procds de  la population dfinitive de la terre , en nous montrant comment des hordes errantes venues du dehors cherchaient à refouler des peuples tablis qui possdaient un bon sol. Le dernier acte de ce genre fut l   migration , ou plutt la conquÊte de lAmrique, le refoulement, qui dure toujours, des sauvages de lamrique, et aussi de ceux de lAustralie.

Le rle des juifs, quand ils stablirent dans la Terre Sainte, et celui des Romains, quand ils prirent possession de lItalie, est au fond le mÊme : celui dun peuple immigr qui combat constamment ses anciens voisins et finit par les assujettir. La seule diffrence, cest que les Romains sont alls infiniment plus loin dans cette voie que le juifs.

En franais dans le texte.



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