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OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES

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OBSERVATIONS PSYCHOLOGIQUES



Table des matiÈres

Chaque animal, et spcialement l'homme, a besoin, pour pouvoir exister et prosprer dans le monde, d'une certaine conformit et proportion entre sa volont et son intellect. Plus la nature les aura tablies d'une faon exacte et juste, plus sa course à travers le monde sera lgÈre, assure, agrable. En attendant, un simple rapprochement vers le point exact suffit djà à le protger contre la destruction. Il y a, par consquent, une certaine latitude entre les limites de l'exactitude et de la proportion dudit rapport. La norme valable est la suivante : l'intellect ayant.pour destination d'clairer et de guider les pas de la volont, plus l'impulsion intime d'une volont sera violente, imptueuse et passionne, plus l'intellect qui lui est adjoint sera accompli et clair. Il en est ainsi pour que la violence de la volont et de l'effort, l'ardeur des passions, l'imptuosit des affects n'garent pas l'homme, ou ne l'entrainent pas à des actions inconsidres, mauvaises, prilleuses : ce qui rsulterait infailliblement d'une volont violente associe à un faible intellect. D'autre part, un caractÈre flegmatique, c'est-à-dire une volont faible et molle, peut se tirer d'affaire avec un mince intellect : une volont modre a besoin d'un intellect modr. En gnral, une disproportion entre la volont et l'intellect, cest-à-dire chaque cart de la proportion normale indique, tend à rendre l'homme malheureux; et le mÊme fait se produit, si la disproportion est renverse. Ainsi le dveloppement anormal et trop puissant de l'intellect, et sa prdominance tout à fait disproportionne sur la volont, qui constituent l'essence du gnie, ne sont pas seulement superflus pour les besoins et les fins de la vie, mais leur sont directement prjudiciables. Cela signifie que, dans la jeunesse, l'excessive nergie avec laquelle on conoit le monde objectif, accompagne par une vive fantaisie et dpourvue d'exprience, rend la tÊte accessible aux ides exagres et mÊme aux chimÈres; d'oÙ rsulte un caractÈre excentrique, et mÊme fantasque. Et si, plus tard, aprÈs les leons de l'exprience, cet tat d'esprit a disparu, le gnie, dans le monde ordinaire et dans la vie bourgeoise, ne se sentira nanmoins jamais aussi complÈtement chez lui, ne prendra jamais aussi nettement position et ne cheminera aussi à l'aise, que la tÊte normale ; il commettra mÊme plutt souvent d'tranges mprises. Car l'homme ordinaire se sent si parfaitement chez lui dans le cercle troit de ses ides et de ses vues, que personne ne peut y avoir prise sur lui, et sa connaissance reste toujours fidÈle à son but originel, qui est de servir la volont ; cette connaissance s'applique donc constamment à ce but, sans jamais extravaguer. Le gnie, au contraire, ainsi que je l'ai dmontr autre part, est au fond un monstrum per excessum ; juste comme, à rebours, l'homme passionn et violent, dpourvu d'intelligence, le barbare sans cervelle, est un monstrum per defectum.

La volont de vivre, qui forme le noyau le plus intime de tout Être vivant, se manifeste de la faon la moins dissimule, et se laisse en consquence le plus nettement observer, chez les animaux suprieurs, c'est-à-dire les plus intelligents. Car, au-dessous de ceux-ci, elle napparait pas encore nettement, elle a un degr moindre d'objectivation ; mais, au-dessus, c'est-à-dire chez l'homme, à la raison est associe la rflexion, et à celle-ci la facult de dissimuler, qui jette bien vite un voile sur elle. Ici ce n'est donc plus que dans les explosions des affects et des passions, qu'elle se manifeste sans masque. C'est pourquoi la passion, chaque fois qu'elle lÈve la voix, trouve crance, quelle que soit sa nature, et avec raison. Pour la mÊme cause, les passions sont le thÈme principal des poÈtes et le cheval de parade des comdiens. La manifestation de la volont de vivre explique aussi le plaisir que nous causent les chiens, les chats, les singes, etc. ; c'est la parfaite naÏvet de tous leurs actes qui nous charme tant.

Quelle jouissance particuliÈre n'prouvons-nous pas à voir n'importe quel animal vaquer librement à sa besogne, s'enquÊter de sa nourriture, soigner ses petits, s'associer à des compagnons de son espÈce, etc., en restant absolument ce qu'il est et peut Être ! Ne fÛt-ce qu'un petit oiseau, je puis le suivre de l'œil longtemps avec plaisir. Il en est de mÊme d'un rat d'eau, d'une grenouille, et, mieux encore, d'un hrisson, d'une belette, d'un chevreuil ou d'un cerf.

Si la vue des animaux nous charme tant, c'est surtout parce que nous goÛtons une satisfaction à voir devant nous notre propre Être si simplifi.

Il y a seulement une crature menteuse : l'homme. Chaque autre crature est vraie et sincÈre, car elle se montre telle qu'elle est et se manifeste comme elle se sent. Une expression emblmatique ou allgorique de cette diffrence fondamentale, c'est que tous les animaux se manifestent sous leur forme naturelle; cela contribue beaucoup à l'impression si heureuse que cause leur vue. Elle fait toujours battre mon cœur de joie, surtout si ce sont des animaux en libert. L'homme, au contraire, par son vÊtement, est devenu une caricature, un monstre; son aspect, djà repoussant pour ce motif, l'est plus encore par la paleur qui ne lui est pas naturelle, comme par toutes les suites rpugnantes qu'amÈnent l'usage contre nature de la viande, les boissons spiritueuses, les excÈs et les maladies. L'homme se tient là comme une tache dans la nature ! - C'est parce que les Grecs sentaient toute la laideur du vÊtement, qu'ils le restreignaient à sa plus juste mesure.

L'angoisse morale occasionne des battements de cœur, et les battements de cœur occasionnent l'angoisse morale. Chagrin, souci, agitation de l'ame ont une action dprimante sur les fonctions de la vie et les rouages de l'organisme, qu'il s'agisse de la circulation du sang, des scrtions, de la digestion. Des causes physiques paralysent-elles au contraire ou dsorganisent-elles d'une faon quelconque ces rouages, qu'il s'agisse du cœur, des intestins, de la veine porte, des vsicules sminales, on voit s'ensuivre les proccupations, les caprices et les chagrins sans objet, c'est-à-dire l'tat qu'on nomme hypocondrie. De mÊme, par exemple, la colÈre se manifeste par des cris, une attitude nergique, des gestes violents; mais ces manifestations physiques accroissent de leur ct cette passion, ou la dchainent à la moindre occasion. Je n'ai pas besoin de dire combien tout ceci confirme ma doctrine de l'unit et de l'identit de la volont avec le corps ; doctrine d'aprÈs laquelle le corps n'est autre chose que la volont elle-mÊme se reprsentant dans la perception du cerveau, envisage sous le rapport de l'espace.

Maints actes attribus à la force de l'habitude reposent plutt sur la constance et l'immuabilit du caractÈre originel et inn; en vertu de ces conditions, dans les circonstances analogues nous faisons toujours la mÊme chose, qui se produit par consquent avec la mÊme ncessit la premiÈre fois que la centiÈme. La vritable force de l'habitude, au contraire, repose sur l'indolence, qui veut pargner à l'intellect et à la volont le travail, la difficult, et aussi le danger d'un choix immdiat, et qui nous fait en consquence faire aujourd'hui ce que nous avons djà fait hier et cent fois, en sachant que l'on atteint ainsi son but.

Mais la vrit de ce fait a des racines plus profondes; car on peut l'expliquer d'une faon plus prcise qu'il n'apparait au premier aspect. La force d'inertie applique aux corps qui ne peuvent Être mus que par des moyens mcaniques, devient force d'habitude quand elle est applique aux corps qui sont mus par des motifs. Les actions que nous accomplissons par pure habitude s'effectuent en ralit sans motif individuel, isol, spcialement propre à ce cas; aussi ne pensons-nous pas en ralit à elles. Ce sont seulement les premiÈres actions, passes en habitude, qui ont eu un motif; le contre-effet secondaire de ce motif est l'habitude actuelle, qui suffit à permettre à l'action de continuer. C'est ainsi qu'un corps, mis en mouvement par une pousse, n'a pas besoin d'une nouvelle pousse pour poursuivre son mouvement; si rien n'arrÊte celui-ci, il se poursuivra à jamais. La mÊme rÈgle s'applique aux animaux : leur dressage est une habitude impose. Le cheval traine tranquillement sa voiture, sans y Être contraint; ce mouvement qu'il excute est l'effet des coups de fouet qui l'y forcÈrent au dbut; cet effet s'est perptu sous forme d'habitude, conformment à la loi de l'inertie. Tout ceci est rellement plus qu'une simple comparaison. C'est djà l'identit de la volont à des degrs trÈs diffrents de son objectivation, en vertu desquels la mÊme loi du mouvement prend des formes si diffrentes.

Viva muchos años ! C'est le salut habituel en Espagne, et sur toute la terre on a coutume de souhaiter aux gens une longue vie. Ceci s'explique non par la connaissance qu'on a de la vie, mais au contraire par la connaissance qu'on a de l'homme d'aprÈs sa nature : la volont de vivre.

Le dsir que nourrit chaque homme qu'on se souvienne de lui aprÈs sa mort, et qui s'lÈve chez les grands ambitieux jusqu'à l'aspiration à la gloire posthume, me semble n de l'attachement à la vie. Quand on voit qu'il faut dire adieu à l'existence relle, on s'accroche à la seule existence encore possible, quoique uniquement idale, c'est-à-dire à une ombre.

Nous dsirons plus ou moins en terminer avec tout ce que nous faisons; nous sommes impatients d'en finir, et heureux d'en avoir fini. C'est seulement la fin gnrale, la fin de toutes les fins, que nous dsirons, d'ordinaire, aussi loigne que possible.

Chaque sparation donne un avant-goÛt de la mort, et chaque nouvelle rencontre un avant-goÛt de la rsurrection. Ceci explique que mÊme des gens indiffrents les uns aux autres se rjouissent tellement, quand, au bout de vingt ou trente ans, ils se retrouvent ensemble.

La profonde douleur que nous fait prouver la mort d'un ami, provient du sentiment qu'en chaque individu il y a quelque chose d'indfinissable, de propre à lui seul, et, par consquent, d'absolument irrparable. Omne individuum ineffabile. Ceci s'applique mÊme à l'animal. C'est ce qu'ont pu constater ceux qui ont bless mortellement, par hasard, un animal aim, et reu son regard d'adieu, qui vous cause une douleur infinie.

Il peut arriver que nous regrettions, mÊme longtemps aprÈs, la mort de nos ennemis et de nos adversaires presque aussi vivement que celle de nos amis : c'est quand nous voudrions les avoir pour tmoins de nos brillants succÈs.

Que l'annonce soudaine d'un vnement trÈs heureux puisse facilement provoquer la mort, cela rsulte du fait que notre bonheur et notre malheur dpendent seulement du rapport proportionnel entre nos exigences et notre situation matrielle. En consquence, les biens que nous possdons, ou sommes sÛrs de possder, ne nous apparaissent pas comme tels, parce que toute jouissance n'est en ralit que ngative, et n'a d'autre effet que de supprimer la douleur; tandis que, au contraire, la douleur (ou le mal) est rellement positive et sentie directement. Avec la possession, ou la certitude de celle-ci, nos prtentions s'accroissent immdiatement et augmentent nos dsirs d'une possession nouvelle et de perspectives plus larges. Mais si l'esprit est dprim par une infortune continuelle, et nos exigences rabaisses à un minimum, les vnements heureux imprvus ne trouvent pas de terrain oÙ prendre pied. N'tant neutraliss par aucune exigence antrieure, ils agissent maintenant d'une maniÈre qui semble positive, et, par consquent, avec toute leur force; ils peuvent ainsi briser l'ame, c'est-à-dire devenir mortels. De la les prcautions connues que l'on prend pour annoncer un vnement heureux. D'abord on le fait esprer, puis chatoyer aux yeux, ensuite connaitre peu à peu et seulement par portions; car chaque partie, ainsi prcde d'une aspiration, perd la force de son effet, et laisse place à plus encore. On pourrait donc dire que notre estomac n'a pas de fond pour le bonheur, mais qu'il a une entre troite. Cela ne s'applique pas de mÊme aux vnements malheureux soudains; l'esprance se cabre toujours contre eux, ce qui les rend beaucoup plus rarement mortels. Si la crainte, en matiÈre d'vnements heureux, ne rend pas un service analogue, c'est que, instinctivement, nous sommes plus enclins à l'esprance qu'à l'inquitude. C'est ainsi que nos yeux se tournent d'eux-mÊmes vers la lumiÈre et non vers les tnÈbres.

EspÈres, c'est confondre le dsir d'un vnement avec sa probabilit. Mais peut-Être pas un seul homme n'est-il affranchi de cette folie du cœur, qui drange pour l'intellect l'estimation exacte de la probabilit à un degr tel, qu'il en vient à regarder une chance sur mille comme un cas trÈs possible. Et cependant un vnement malheureux sans espoir ressemble à la mort brusque, tandis que l'espoir, toujours dsappoint et toujours vivace, est comme la mort à la suite d'une lente torture 

Celui qui a perdu l'esprance a aussi perdu la crainte : c'est le sens du mot  dsespr . Il est naturel pour l'homme de croire ce qu'il dsire, et de le croire parce qu'il le dsire. Si cette particularit bienfaisante de sa nature vient à Être dracine par des coups durs et rpts du destin, et s'il en arrive à croire, au rebours, que ce qu'il ne dsire pas arrivera, et que ce qu'il dsire n'arrivera jamais, prcisment parce qu'il le dsire, il se trouve dans l'tat qu'on a nomm le  dsespoir .

Que nous nous trompions si souvent au sujet des autres, cela n'est pas toujours la faute de notre jugement; la raison doit en Être cherche d'ordinaire dans cette remarque de Bacon, que intellectus luminis sicci non est, sed recipit infusionem a voluntate et affectibus; à notre insu, en effet, nous sommes, dÈs le commencement, influencs pour eux ou contre eux par des bagatelles. Cela provient souvent aussi de ce que nous ne nous en tenons pas aux qualits que nous dcouvrons rellement chez eux, mais concluons de celles-ci à d'autres que nous regardons comme insparables de celles-là, ou incompatibles avec elles. Ainsi, par exemple, nous concluons de la gnrosit à la justice; de la pit à l'honnÊtet; du mensonge à la tromperie; de la tromperie au vol, etc. Cela ouvre la porte à beaucoup d'erreurs, par suite, d'une part, de l'tranget des caractÈres humains, de l'autre, de l'troitesse de notre point de vue. Sans doute, le caractÈre est toujours consquent et cohrent, mais les racines de toutes ses qualits sont trop profondes pour qu'on puisse dcider, d'aprÈs des faits isols, lesquelles, dans un cas donn, peuvent ou non exister ensemble.

Le mot personne, employ dans toutes les langues europennes pour dsigner l'individu humain, est inconsciemment caractristique; car persona signifie à proprement parler un masque de comdien. Or, nul Être humain ne se montre tel qu'il est, mais chacun porte un masque et joue un rle.

Toute la vie sociale est d'ailleurs une comdie perptuelle. Cela la rend insipide pour les gens intelligents ; tandis, que les imbciles y trouvent beaucoup d'agrment

Il nous arrive assez facilement de raconter des choses qui pourraient avoir pour nous des rsultats dangereux; mais nous nous gardons bien de parler de ce qui pourrait nous rendre ridicules. C'est qu'ici l'effet suit de prÈs la cause.

Une injustice subie dchaine chez l'homme naturel une soif ardente de vengeance, et l'on a souvent rpt que la vengeance est douce. Ceci est confirm par les nombreux sacrifices faits simplement pour la goÛter, et sans intention aucune d'obtenir une rparation. La perspective certaine d'une vengeance raffine, imagine à son heure suprÊme, adoucit pour le centaure Nessus l'amertume de la mort  . La mÊme ide, prsents sous une forme plus moderne et plus plausible, fait le fond de la nouvelle de Bertolotti  , Les deux sœurs, qui a t traduite en trois langues. Walter Scott exprime en paroles aussi justes qu'nergiques le penchant de l'homme à la vengeance :  Revenge is the sweetest morsel to the mouth, that ever was cooked in hell 

Je vais essayer maintenant d'expliquer psychologiquement la vengeance.

Toutes les souffrances qui nous sont imposes par la nature, le hasard ou le destin, ne sont pas aussi douloureuses, cæteris paribus, que celles qui nous sont infliges par l'arbitraire des autres. Cela provient de ce que nous regardons la nature et le destin comme les maitres originels du monde, et comprenons que les coups qu'ils nous ont ports peuvent Être galement ports à tout autre. Aussi, dans les cas de souffrances drives de ces sources, dplorons-nous plus le sort commun de l'humanit que notre propre sort. Au contraire, les souffrances infliges par l'arbitraire des autres sont une addition amÈre, d'une nature toute spciale, à la douleur ou au tort causs : elles impliquent la conscience de la supriorit d'autrui, soit en force, soit en ruse, vis-à-vis de notre faiblesse. Le tort caus peut Être rpar par un ddommagement, lorsque celui-ci est possible; mais cette addition amÈre :  Il me faut subir cela de toit , souvent plus douloureuse que le tort mÊme, ne peut Être neutralise que par la vengeance. En causant de notre ct du dommage, par force ou par ruse, à celui qui nous a nui, nous montrons notre supriorit sur lui et annulons par là la preuve de la sienne. Cela donne à l'ame la satisfaction à laquelle elle aspirait. En consquence, là oÙ il y a beaucoup d'orgueil ou de vanit, il y aura une ardente soif de vengeance. Mais chaque dsir accompli occasionne plus ou moins de dsillusion, et cela est vrai aussi de la vengeance. Le plaisir que nous en attendions nous est le plus souvent empoisonn par la piti. Oui, la vengeance qu'on a exerce dchirera ensuite frquemment le cœur et torturera la conscience. Son motif n'agissait plus, et nous restons en face du tmoignage de notre mchancet.

La souffrance du dsir inaccompli est faible, compare a celle du repentir. Car celle-là a devant elle l'avenir toujours ouvert et incommensurable; celle-ci, le pass irrvocablement ferm.

La patience - patienta en latin, mais particuliÈrement le sufrimiento espagnol - vient du mot souffrir; elle indique par consquent passivit, le contraire de l'activit de l'esprit, avec laquelle, lorsque celle-ci est grande, elle est difficilement compatible. La patience est la vertu inne des flegmatiques, comme celle des gens dont l'esprit est indolent ou pauvre, et des femmes. Que nanmoins elle soit si utile et si ncessaire, cela indique que le monde est tristement fait.

L'argent est la flicit humaine in abstracto; de sorte que celui qui n'est plus capable d'en jouir in concreto; lui donne tout son cœur.

La base de l'entÊtement, c'est que la volont s'est impose au lieu de la connaissance:

La morosit et la mlancolie sont fort loignes l'une de l'autre. Il y a beaucoup moins loin de la gaiet à 1a mlancolie, que de la morosit à celle-ci..

La mlancolie attire; la morosit repousse.

L'hypocondrie ne nous torture pas seulement sans raisons au sujet des choses prsentes; elle ne nous remplit pas seulement d'une angoisse sans motifs au sujet de malheurs imaginaires dans l'avenir; elle nous tourmente encore par des reproches immrits sur nos actions dans le pass.

L'effet le plus direct de l'hypocondrie, c'est de rechercher constamment des motifs d'irritation ou de tourment. La cause en est une dpression morbide intrieure, à laquelle se joint souvent un trouble intrieur qui provient du temprament. Quand tous deux atteignent le plus haut degr, le rsultat est le suicide.

J'ai cit, dans mon chapitre sur lthique, ce vers de Juvnal :

Quantulacunque adeo est occasio, sufficit iræ 

Je vais l'expliquer plus en dtail.

La colÈre provoque immdiatement un mirage consistant en un agrandissement monstrueux et en une distorsion non moins monstrueuse de la cause qui lui a donn naissance. Or, ce mirage à son tour accroit la colÈre, et, en vertu de cette colÈre accrue, s'agrandit encore lui-mÊme. Ainsi s'augmente continuellement l'action rciproque, jusqu'à ce qu'elle aboutisse au furor brevis.

Les personnes vives, dÈs qu'elles commencent à s'irriter, devraient chercher à prendre sur elles de prvenir cette  fureur brÈve , de faon à n'y plus penser pour le moment. Si, en effet, la chose leur revient à l'esprit une heure aprÈs, elle sera loin de leur paraitre aussi grave, et bientt peut-Être ils l'envisageront comme insignifiante.

La haine concerne le cœur; le mpris, la tÊte. Le  moi  n'a aucun des deux en son pouvoir. Son cœur est immuable et est mÛ par des motifs, et sa tÊte juge d'aprÈs des rÈgles invariables et des faits objectifs. Le  moi  est simplement l'union de ce cœur avec cette tÊte, le .

Haine et mpris sont en antagonisme dcid et s'excluent. Mainte haine n'a mÊme d'autre source que le respect qu'on ressent pour les mrites d'autrui. D'autre part, si l'on voulait haÏr tous les misrables coquins, on aurait fort à faire. On peut les haÏr à son aise en bloc. Le vritable mpris, qui est l'envers du vritable orgueil, reste absolument secret et ne laisse rien apparaitre. Celui qui laisse apparaitre son mpris donne en effet djà par là une marque de quelque estime, en voulant faire savoir à l'autre le peu de cas qu'il fait de lui; il trahit ainsi de la haine, qui exclut le mpris et l'affecte simplement. Le vritable mpris, au contraire, est 1a pure conviction du manque de valeur de l'autre; il est compatible avec les gards et les mnagements, par lesquels on vite, pour son propre repos et pour sa propre scurit, d'exasprer celui qu'on mprise; car tout individu peut vous nuire. Mais que ce pur mpris froid et sincÈre vienne une fois à se manifester, il y sera rpondu par la haine la plus sanglante, vu l'impossibilit oÙ est l'individu mpris d'y faire la mÊme rponse.

Chaque vnement qui nous transporte dans un tat d'esprit dsagrable, y produira, mÊme s'il est trÈs insignifiant, un contrecoup qui, tant qu'il dure, est prjudiciable à la conception claire et objective des choses et des circonstances. Toutes nos ides en subissent l'action, de mÊme qu'un objet trÈs petit, mis directement sous nos yeux, limite et dnature notre champ visuel.

Ce qui rend les hommes durs de cœur, c'est que chacun croit avoir assez à supporter avec ses propres peines, ou du moins se l'imagine. Aussi un tat de bonheur inaccoutum a-t-il pour effet de dvelopper chez la plupart des Êtres humains des sentiments de sympathie et de bienfaisance. Mais un tat de bonheur durable, qui a toujours exist, produit souvent l'effet contraire. Il les rend si trangers à la souffrance, qu'ils ne peuvent plus y prendre part. De là vient que les pauvres se montrent parfois plus secourables que les riches.

Ce qui, d'autre part, rend les hommes et curieux, comme nous le voyons à la faon dont ils pient et espionnent les actions des autres, c'est le ple de la vie oppos à la souffrance, - l'ennui; quoique l'envie contribue souvent aussi à cette curiosit.

Celui qui veut se rendre compte de ses sentiments sincÈres envers une personne, n'a qu'à prendre garde à l'impression qu'une lettre de cette personne, arrive tout à coup par la poste, produit sur lui à premiÈre vue.

Il semble parfois que nous voulons et ne voulons pas en mÊme temps quelque chose, et qu'en consquence nous nous rjouissons et nous attristons en mÊme temps du mÊme vnement. Si nous devons, par exemple, subir sur n'importe quel terrain une preuve dcisive de laquelle il est trÈs important pour nous de sortir victorieux, nous souhaitons et nous redoutons en mÊme temps le moment de sa venue. Apprenons-nous, tandis que nous l'attendons, que ce moment est ajourn, cela nous rjouira et nous affligera à la fois; car la chose, d'une part, contrarie nos vues, et, de l'autre, nous soulage un instant. Il en est de mÊme quand nous attendons une lettre importante, dcisive, qui ne vient pas.

En pareil cas, deux motifs diffrents agissent en ralit sur nous : un plus fort, mais loign, - le dsir de soutenir l'preuve, d'arriver à une solution; et un plus faible, mais rapproch, le dsir d'Être laiss pour l'instant en repos, et consquemment en jouissance ultrieure de l'avantage que l'tat d'incertitude berce d'espoir a sur l'issue malheureuse possible. Il se produit donc ici au moral ce qui se produit au physique, quand, dans notre champ visuel, un objet petit, mais rapproch, couvre un objet plus grand, mais loign.

La raison aussi a droit à Être qualifie de prophÈte : elle nous prsente en effet l'avenir, comme rsultat et effet de notre conduite actuelle. Elle se prÊte donc par là à nous tenir en bride, quand les apptits de la volupt, les transports de la colÈre ou les incitations de la cupidit veulent nous induire à des actes que nous regretterions plus tard.

Le cours et les vnements de notre vie individuelle peuvent Être compars, quant à leur sens et à leur connexion vritables, à une mosaÏque grossiÈre. Tant qu'on la regarde de tout prÈs, on ne reconnait pas trÈs bien les objets reprsents et l'on ne se rend compte ni de leur importance ni de leur beaut; ce n'est qu'à quelque distance que l'une et l'autre apparaissent. De mÊme, nous ne comprenons souvent la vritable connexion des vnements importants de notre propre vie ni pendant qu'ils se droulent, ni un peu plus tard, mais seulement assez longtemps aprÈs.

En est-il ainsi parce que nous avons besoin des verres grossissants de l'imagination ? ou parce que l'ensemble ne se laisse saisir que de loin ? ou parce que les passions doivent Être refroidies ? ou parce que l'cole de l'exprience mÛrit seule notre jugement ? Peut-Être pour toutes ces raisons à la fois. Ce qui est certain, c'est que la vritable lumiÈre ne se fait souvent dans notre esprit sur les actions des autres, parfois mÊme sur les ntres, qu'aprÈs de nombreuses annes. Et ce qui se passe en notre vie se passe aussi dans l'histoire.

Il en est de l'tat du bonheur humain comme le plus souvent de certains groupes d'arbres. Vus de loin, ils paraissent admirables; les examine-t-on de tout prÈs, cette beaut disparait. On ne sait pas ce qu'elle est devenue, et l'on se trouve entre des arbres. Voilà d'oÙ vient que nous envions si souvent la situation d'autrui.

Pourquoi, en dpit de tous les miroirs, ne connaissons-nous pas exactement notre figure, et ne pouvons nous reprsenter à notre imagination notre propre personne, comme nous faisons pour toute personne connue ? Une difficult qui s'oppose, dÈs le premier pas, au   (connais-toi toi-mÊme).

Cela provient incontestablement en partie de ce qu'on ne se voit jamais dans le miroir que le regard droit et immobile, ce qui fait que le jeu si important des yeux, et avec lui la vritable caractristique de la face, sont à peu prÈs complÈtement perdus. A cette impossibilit physique semble aussi se joindre une impossibilit thique de nature analogue. On ne peut jeter sur sa propre image, dans un miroir, un regard tranger, condition ncessaire pour se voir soi-mÊme objectivement. Ce regard repose en effet, en derniÈre analyse, sur l'goÏsme moral, avec son  non moi  profondment senti ; et ceux-ci sont indispensables pour percevoir au point de vue purement objectif et sans dfalcation toutes les dfectuosits, ce qui seul laisse apparaitre le tableau fidÈle et vrai. Au lieu de cela, l'goÏsme en question nous murmure constamment, à l'aspect de notre propre personne dans le miroir :  Ce n'est pas un autre, mais moi-mÊme , qui a l'effet prventif d'un noli me tangere, et met obstacle à la vue purement objective, qui ne parait pas possible sans un grain de malice.

Personne ne sait quelles forces il porte en lui pour souffrir et pour agir, tant qu'une occasion ne vient pas les mettre en jeu. C'est ainsi qu'on ne voit pas avec quelle imptuosit et quel vacarme l'eau tranquille et unie de l'tang se prcipite soudainement du rocher, ou comme elle est capable de jaillir en haut sous forme de fontaine; ni qu'on ne souponne la chaleur latente dans l'eau glace.

L'existence inconsciente n'a de ralit que pour les autres Êtres dans la conscience desquels elle se reprsente ; la ralit directe rsulte de la conscience propre. Par consquent, l'existence individuelle relle de l'homme rside avant tout dans sa conscience. Celle-ci, comme telle, est ncessairement une conscience reprsentante, qui rsulte de l'intellect, de la sphÈre et de la matiÈre de l'activit de celui-ci. Les degrs de clart de la conscience, par consquent de rflexion, peuvent donc Être envisags comme les degrs de ralit de l'existence. Or, ces degrs de rflexion, ou de conscience claire de sa propre existence et de celle d'autrui, sont peut-Être, dans la race humaine elle-mÊme, mousss de nombreuses faons, selon la mesure des forces intellectuelles naturelles, du dveloppement de celles-ci, et des loisirs rservs à la pense.

Quant à la diversit relle et primordiale des forces intellectuelles, il est assez difficile d'tablir entre elles une comparaison, tant qu'on les considÈre dans leur ensemble et qu'on ne les examine pas en dtail ; car cette diversit ne peut Être embrasse de loin, et elle n'est pas non plus aussi distincte extrieurement que les diffrences de dveloppement, de loisir et d'occupation. Mais, pour s'en tenir à celles-ci, il faut avouer que tel homme a un degr d'existence au moins dcuple de celle d'un autre, qu'il vit dix fois autant.

Je ne parlerai pas ici des sauvages, dont l'existence n'est souvent que d'un degr suprieure à celle des singes qui vivent sur leurs arbres; mais que l'on examine seulement le cours de la vie d'un portefaix de Naples ou de Venise. (Dans le Nord, la proccupation de l'hiver rend djà l'homme plus rflchi et plus srieux). Harcel par le besoin, port par sa propre force, pourvoyant par le travail aux ncessits du jour, mÊme de l'heure, beaucoup de fatigues, agitation constante, misÈres infinies, nul souci du lendemain, repos bienfaisant succdant à l'puisement, querelles frquentes avec les autres, pas un instant pour penser, jouissance sensuelle dans les climats doux et avec une nourriture supportable, et, pour finir, comme lment mtaphysique, une couche d'paisse superstition religieuse : en rsum, donc, un genre de vie passablement mouss sous le rapport conscient. Ce rÊve agit et confus constitue l'existence de nombreux millions d'Êtres humains. Ils connaissent uniquement en vue de leur volont prsente ;. ils ne rflchissent pas à la connexion de leur existence, à plus forte raison à celle de l'existence mÊme; ils sont en quelque sorte là sans vraiment s'en apercevoir. Aussi l'existence du proltaire dont la vie s'coule sans penser, ou celle de l'esclave, se rapproche-t-elle djà beaucoup plus que la ntre de celle de l'animal qui est limit tout entier au prsent; mais, pour cette raison mÊme, elle est moins douloureuse. Oui, toute jouissance, en vertu de sa nature, tant ngative, c'est-à-dire consistant dans l'affranchissement d'un besoin ou d'une peine, la succession alternative et rapide des misÈres actuelles, avec leur terminaison, qui accompagne constamment le travail du proltaire et s'affirme en dernier lieu par le repos et la satisfaction des besoins de celui-ci, est une source perptuelle de jouissance, dont porte tmoignage certain la gaiet qui se lit infiniment plus frquemment sur le visage des pauvres que sur celui des riches.

Examinez ensuite le marchand sens, rflchi, qui passe sa vie à spculer, excute avec prudence des projets trÈs audacieux, fonde sa maison, pourvoit aux besoins de sa femme, de ses enfants et de ses descendants, et prend aussi une part active à la chose publique : il est manifestement beaucoup plus conscient que le prcdent, c'est-à-dire que son existence a un plus haut degr de ralit.

Puis voyez l'rudit, qui tudie, par exemple, l'histoire du pass. Celui-ci est djà pleinement conscient de l'existence, il s'lÈve au-dessus du temps oÙ il vit, au-dessus de sa propre personne : il mdite sur le cours des choses de ce monde.

Et finalement le poÈte, ou mÊme le philosophe, chez lequel la rflexion a atteint le degr oÙ, non satisfait de scruter un phnomÈne quelconque de l'existence, il s'arrÊte tonn devant l'existence mÊme, devant ce formidable sphinx, et la prends pour sujet de son problÈme. La conscience a grandi en lui jusqu'au degr de clart oÙ elle est devenue conscience universelle; la reprsentation s'est ainsi mise chez lui, en dehors de tout rapport, au service de la volont, et offre à son esprit un monde dont l'activit sollicite bien plutt son enquÊte et son examen que sa sympathie. Et si les degrs de la conscience sont les degrs de la ralit, la phrase par laquelle nous nommerons un tel homme  l'Être le plus rel de tous , aura un sens et une signification.

Entre les extrÊmes esquisss ici, avec les points intermdiaires, on pourra assigner à chacun sa place.

Ce vers d'Ovide :

Pronaque cum spectent animalia cetera terram 

ne s'applique en ralit, au sens physique, qu'aux animaux ; mais, au sens figur et intellectuel, il s'applique malheureusement aussi à la plupart des hommes. Toutes leurs Ides, penses et aspirations sont tendues vers la jouissance et le bien-Être matriels, ou vers lintrÊt personnel, dont la sphÈre renferme toutes sortes de choses qui ne tirent leur importance que de leurs rapports avec celui-ci ; ils ne s'lÈvent pas plus haut. C'est ce que tmoignent non seulement leur maniÈre de vivre et leur conversation, mais leur seul aspect, leur physionomie et son expression, leur tournure, leurs gestes. Tout chez eux crie : in terram prona ! Ce n'est donc pas à eux, mais seulement aux natures nobles et bien doues, aux hommes qui pensent et s'interrogent vritablement, qui apparaissent comme des exceptions parmi leur race, que s'appliquent les vers suivants

Os homini sublime dedit, cœlumque tueri

Jussit, et erectos ad sidera tollere vultus 

Pourquoi le mot  commun  est-il une expression de mpris ? les mots  non commun ,  extraordinaire ,  distingu , des expressions d'approbation ? Pourquoi tout ce qui est commun est-il mprisable ?

 Commun  signifie originellement ce qui est propre et commun à toute l'espÈce, c'est-à-dire ce qui est inn en elle. Voilà pourquoi celui qui n'a pas d'autres qualits que celles de l'espÈce humaine, est un  homme commun .  Homme ordinaire  est une expression beaucoup plus douce et qui concerne davantage l'intellectualit, tandis qu'  homme commun  concerne plutt le moral.

Quelle valeur peut bien avoir un Être qui n'est rien de plus que des millions de son espÈce ? Des millions ? Bien plutt une infinit, un nombre incommensurable d'Êtres que la nature fait jaillir ternellement, in sœcula sœculorum, de sa source intarissable, avec la prodigalit du forgeron dont le marteau fait voler de toutes parts des tincelles.

Il devient mÊme vident qu'un Être qui n'a pas d'autres qualits que celles de l'espÈce, n'a pas non plus de droits à une autre existence qu'à celle de l'espÈce et qui est conditionne par elle.

J'ai expliqu plus d'une fois que, tandis que les animaux ont seulement le caractÈre gnrique, l'homme, lui seul, a le caractÈre individuel proprement dit. Nanmoins, chez le plus grand nombre, il n'y a en ralit qu'une petite part d'individualit; ils se laissent presque tous classifier. Ce sont des espÈces  . Leur volont et leur penser, comme leurs physionomies, sont ceux de l'espÈce entiÈre, en tout cas de la classe d'hommes à laquelle ils appartiennent, et voilà pourquoi tout cela est trivial, banal, commun, tir à des milliers d'exemplaires. On peut prvoir aussi à l'avance, en gnral, ce qu'ils diront et feront. Ils n'ont pas d'empreinte propre : c'est une marchandise de fabrique.

De mÊme que leur Être, leur existence aussi ne doit-elle pas Être absorbe dans celle de l'espÈce ? La maldiction du caractÈre commun rabaisse l'homme, sous ce rapport, au niveau de l'animal.

Il va de soi que tout ce qui est lev, grand, noble par nature, restera à l'tat isol dans un monde oÙ l'on n'a pu trouver, pour dsigner ce qui est bas et mprisable, une expression meilleure que celle indique par moi comme gnralement employe :  commun .

La volont, comme la chose en soi, est la matiÈre commune de tous les Êtres, l'lment courant des choses ; nous la possdons par consquent en commun avec tous les hommes et avec chacun, mÊme avec les animaux, et à un degr plus bas encore. En elle, à ce point de vue, nous sommes donc gaux à chacun ; car toute chose prise dans son ensemble ou en dtail, est emplie de volont et en dborde. Par contre, ce qui lÈve un Être au-dessus d'un Être, un homme au-dessus d'un homme, c'est la connaissance. Aussi elle seule, autant que possible, devrait-elle apparaitre dans nos manifestations. Car la volont, proprit absolument commune à tous, est aussi  le commun . Toute affirmation, violente de sa part est en consquence  commune . Elle nous rabaisse jusqu'à n'Être qu'un exemplaire de l'espÈce, car nous ne montrons ensuite que le caractÈre de celle-ci. Il convient donc d'appliquer le mot  commun  à la colÈre, à la joie dmesure, à la haine, à la crainte, bref, à tout affect, c'est-à-dire à tout mouvement de la volont qui devient assez fort pour faire prdominer incontestablement la connaissance dans la conscience, et faire apparaitre l'homme plus comme un Être voulant que comme un Être connaissant. Livr à un tel affect, le plus grand gnie devient semblable au fils le plus vulgaire de la terre. Celui, au contraire, qui veut Être  non commun , c'est-à-dire grand, ne doit jamais laisser les mouvements de la volont s'emparer complÈtement de sa conscience, quelque sollicitation qu'il prouve à ce sujet. Il lui faut, par exemple, pouvoir entendre les autres mettre leurs opinions dtestables, sans qu'il sente les siennes atteintes par ce fait. Oui, il n'y a pas de marque plus assure de grandeur que de laisser mettre, sans y attacher d'importance, des propos blessants ou offensants, qu'on impute tout bonnement, comme quantit d'autres erreurs, à la dbile connaissance du discoureur, et que l'on se contente de percevoir, sans qu'ils vous touchent. C'est en ce sens qu'il faut entendre ce mot de Gracian :  El mayor desdoro de un hombre es dar muestras de que es hombre  

Conformment à ce qui vient d'Être dit, on doit cacher sa volont, comme ses parties gnitales, quoique l'une et les autres soient la racine de notre Être. On ne doit laisser voir que la connaissance, comme son visage, sous peine de devenir commun.

MÊme dans le drame, qui a proprement pour thÈme les passions et les affects, tous deux produisent facilement une impression commune. C'est ce que l'on constate tout spcialement chez les tragiques franais, qui ne se proposent pas de but plus lev que la reprsentation des passions, et cherchent à dissimuler la banalit du fait tantt derriÈre un pathos ridiculement enfl, tantt derriÈre des pointes pigrammatiques. La clÈbre Mlle Rachel, dans le rle de Marie Stuart  , quand elle invectiva la reine Elizabeth, me fit songer, si excellent que fÛt son jeu, à une harengÈre. La scÈne finale des adieux perdit aussi, interprte par elle, tout ce qu'elle a de sublime, c'est-à-dire de vraiment tragique, chose dont les Franais n'ont aucune ide. Ce mÊme rle fut mieux tenu, sans aucune comparaison, par l'italienne Ristori. C'est qu'Italiens et Allemands, en dpit de grandes diffrences sous beaucoup de rapports, ont le mÊme sentiment pour ce qu'il y a d'intime, de srieux et de vrai dans l'art, et contrastent sur ce point avec les Franais, qui sont absolument dnus de ce sentiment : lacune qu'ils trahissent en tout. La noblesse, c'est-à-dire le  non commun , voire le sublime, est aussi introduite dans le drame, avant tout par la connaissance, en opposition à la volont. La connaissance plane en effet librement sur tous ces mouvements de la volont et les prend mÊme pour matiÈre de ses considrations, comme le fait voir particuliÈrement Shakespeare, surtout dans Hamlet. Et, quand la connaissance s'lÈve au point oÙ disparait pour elle l'inutilit de toute volont et de tout effort, par suite de quoi la volont s'abolit elle-mÊme, alors seulement le drame devient vraiment tragique, par consquent vritablement sublime, et atteint son but suprÊme.

Selon que l'nergie de l'intellect est tendue ou relache, la vie apparait à celui-ci toute diffrente. Dans le dernier cas, elle apparait si courte, si fugitive, que rien de ce qui y advient ne mrite de nous mouvoir, et que tout semble sans importance, mÊme le plaisir, la richesse, la gloire; tellement sans importance, que, quelque perte qu'on ait subie, il n'est pas possible qu'on ait beaucoup perdu. Dans le premier cas, à l'oppos, la vie apparait si longue, si importante, tellement tout en tout, si srieuse et si difficile, que nous nous lanons sur elle de toute notre ame, pour participer à ses bienfaits, disputer ses rcompenses et nous les assurer, et excuter nos projets. Ce second point de vue est celui qu'on nomme immanent; c'est celui auquel songe Gracian, quand il parle de tomar muy de veras et vivir  . Le premier point de vue, au contraire, le point de vue transcendant, est le mot d'Ovide : non est tanti  . L'expression est bonne, et celle-ci, de Platon, est encore meilleure :

 

La premiÈre disposition d'esprit rsulte de ce que la connaissance a pris la suprmatie dans la conscience, oÙ, s'affranchissant du pur service de la volont, elle saisit objectivement le phnomÈne de la vie, et ne peut manquer alors de voir clairement la futilit et le nant de celle-ci. Dans la seconde disposition, par contre, la volont prdomine, et la connaissance n'est là que pour clairer les objets de la volont et leurs voies. L'homme est grand, ou petit, selon que prdomine chez lui l'une ou l'autre maniÈre d'envisager la vie.

Chacun tient le bout de son champ d'observation pour le bout du monde. Ceci est aussi invitable dans le domaine intellectuel, qu'au point de vue physique l'illusion qu'à l'horizon le ciel touche la terre. Mais une des consquences de ce fait, c'est que chacun de nous jauge avec sa mesure, qui le plus souvent n'est qu'une aune de tailleur, et que nous devons en passer par là; comme aussi chacun nous prÊte sa petitesse, fiction qui est admise une fois pour toutes.

Il y a quelques ides qui existent trÈs rarement d'une faon claire et dtermine dans une tÊte, et ne prolongent leur existence que par leur nom; celui-ci n'indique en ralit que la place d'une telle ide, et, sans lui, elles se perdraient à tout jamais. L'ide de sagesse, par exemple, est de ce genre. Combien elle est vague dans presque toutes les tÊtes ! On peut se rfrer sur ce point aux explications des philosophes.

La  sagesse  me parait indiquer non seulement la perfection thorique, mais aussi la perfection pratique. Je la dfinirais : la connaissance exacte et accomplie des choses, dans l'ensemble et en gnral, qui a si complÈtement pntr l'homme, qu'elle se manifeste aussi dans sa conduite, dont elle est la rÈgle en toute circonstance.

Tout ce qui est primordial, et par consquent authentique dans l'homme, agit comme tel, de mÊme que les forces naturelles, inconsciemment. Ce qui a pntr par la conscience y est devenu une reprsentation; par suite, la manifestation de cette conscience est en une certaine mesure la communication d'une reprsentation. En consquence, toutes les qualits vraies et prouves du caractÈre et de l'esprit sont originellement inconscientes, et ce n'est que comme telles qu'elles produisent une profonde impression. Tout ce qui, sous ce rapport, est conscient, est djà corrig et voulu, dgnÈre par consquent djà en affectation, c'est-à-dire est une tromperie. Ce que l'homme accomplit inconsciemment ne lui coÛte aucune peine, et aucune peine ne peut y suppler. C'est là le caractÈre des conceptions originelles qui constituent le fond et le noyau de toutes les crations vritables. Voilà pourquoi ce qui est inn est seul authentique et valable. Ceux qui veulent faire quelque chose doivent, en tout ordre d'ides, action, littrature, art, suivre les rÈgles sans les connaitre.

Il est certain que mainte personne n'est redevable du bonheur de sa vie qu'à ce qu'elle possÈde un sourire agrable, qui lui conquiert les cœurs. Cependant ceux-ci feraient mieux de se tenir sur leurs gardes, et de se rappeler, d'aprÈs la table mnmonique d'Hamlet, that one rnay smile, and smile, and be a villain 

Les gens pourvus de grandes et brillantes qualits ne font guÈre difficult d'avouer leurs dfauts et leurs faiblesses, ou de les laisser voir. Ils les considÈrent comme une chose qu'ils ont paye, ou sont mÊme d'avis que ces faiblesses leur font moins honte qu'eux. mÊmes ne leur font honneur. C'est particuliÈrement le cas, quand ces dfauts sont insparables de leurs minentes qualits, qu'ils en sont des conditiones sine quibus non. Comme l'a dit George Sand,  chacun a les dfauts de ses vertus 

Par contre, il y a des gens de bon caractÈre et de tÊte irrprochable qui, loin d'avouer leurs rares et petites faiblesses, les cachent soigneusement, et se montrent trÈs susceptibles à toute allusion à leur sujet. La raison en est que, tout leur mrite consistant en l'absence de dfauts et d'imperfections, ils se sentent amoindris par la rvlation de chaque dfectuosit.

La modestie, chez les gens mdiocres, est simplement de l'honnÊtet; chez les gens brillamment dous, elle est de l'hypocrisie. Aussi le sentiment avou et la conscience non dissimule de leur talent exceptionnel sient-ils autant à ceux-ci que la modestie sied à ceux-là. ValÈre-Maxime cite à ce sujet d'intressants exemples, sous sa rubrique : De fiducia sui 

MÊme en aptitude au dressage, l'homme dpasse tous les animaux. Les musulmans sont dresss à prier cinq fois par jour, le visage tourn vers La Mecque; ils le font invariablement. Les chrtiens sont dresss à faire en certaines occasions le signe de la croix, à s'incliner, etc. La religion, en somme, est le chef-d'œuvre par excellence du dressage, le dressage de la pense; or, on sait que, dans cette voie, on ne peut jamais commencer trop tt. Il n'est pas d'absurdit si vidente qu'on ne pourrait faire entrer dans la tÊte de tous les hommes, si l'on commenait à la leur inculquer avant leur sixiÈme anne, en la leur rptant constamment et sur un ton convaincu. Le dressage de l'homme, comme celui des animaux, ne russit parfaitement que dans la premiÈre jeunesse.

Les nobles sont dresss à ne tenir pour sacre que leur parole d'honneur, à croire en tout srieux et en toute rigueur au code grotesque de l'honneur chevaleresque, à le sceller, le cas chant, par leur mort, et à considrer le roi comme vritablement un Être d'espÈce suprieure. Nos tmoignages de politesse et nos compliments, particuliÈrement nos attentions respectueuses envers les dames, reposent sur le dressage; de mÊme, notre estime pour la naissance, la situation, les titres; de mÊme aussi le dplaisir que nous font prouver, suivant leur nature, certaines assertions diriges contre nous. Les Anglais sont dresss à considrer comme un crime digne de mort l'imputation de manque de gentilhommerie et plus encore celle de mensonge; les Franais, celle de lachet; les Allemands, celle de sottise; et ainsi de suite. Beaucoup de gens sont dresss à une honnÊtet invariable en une chose, tandis que dans toutes les autres ils n'en montrent pas beaucoup. Ainsi, bon nombre ne volent pas d'argent, mais drobent tout ce qui peut leur procurer indirectement une satisfaction. Maint marchand trompe sans scrupules; mais voler, c'est ce qu'il ne ferait certainement pas.

Le mdecin voit l'homme dans toute sa faiblesse; le juriste, dans toute sa mchancet ; le thologien, dans toute sa sottise.

Il y a dans ma tÊte un parti d'opposition constant qui s'lÈve aprÈs coup contre tout ce que j'ai fait ou rsolu, mÊme à la suite de srieuses rflexions, sans nanmoins avoir pour cela chaque fois raison. Ce parti d'opposition n'est probablement qu'une forme de l'esprit d'examen susceptible de rectification, mais il m'adresse souvent des reproches immrits. Je souponne que plus d'un autre est aussi dans le mÊme cas; quel est celui qui ne doit pas se dire, en effet :

Quid tam dextro pede concipis, ut te

Conatus non pæniteat, votique peracti 

Celui-là a beaucoup d'imagination, dont l'activit crbrale intuitive est assez forte pour n'avoir pas besoin chaque fois de l'excitation des sens, en vue d'agir.

Conformment à ce principe, l'imagination est d'autant plus active que les sens nous apportent moins d'intuition extrieure. Un long isolement (soit en prison, soit dans une chambre oÙ vous retient la maladie), le silence, le crpuscule, l'obscurit sont favorables à son activit; sous l'influence de ces conditions, elle se met spontanment en jeu. A l'oppos, quand l'intuition reoit beaucoup de matiÈre relle du dehors, comme en voyage, dans le tumulte du monde, par une claire matine, l'imagination chme, et, mÊme sollicite, n'entre pas en activit; elle se rend compte que ce n'est pas son heure.

Cependant l'imagination doit, pour se montrer fconde, avoir reu beaucoup de matiÈre du monde extrieur; lui seul, en effet, peut l'approvisionner. Mais il en est de la nourriture de l'imagination comme de celle du corps : quand celui-ci a reu du dehors beaucoup de nourriture qu'il doit digrer, c'est alors qu'il devient le plus incapable d'activit, et chme volontiers. C'est pourtant cette nourriture, à laquelle il est redevable de toutes ses forces, qu'il scrÈte plus tard, quand le moment est venu.

L'opinion obit à la loi du balancement du pendule : si elle dpasse le centre de gravit d'un ct, elle doit le dpasser d'autant de l'autre. Ce n'est qu'avec le temps qu'elle trouve le vrai point de repos et demeure stationnaire.

L'loignement, dans l'espace, rapetisse toute chose, en la contractant; ainsi ses dfauts et ses lacunes disparaissent, comme, dans une glace rapetissante ou dans la chambre obscure, tout se montre beaucoup plus beau que dans la ralit. Le pass agit de mÊme dans le temps. Les scÈnes et les vnements reculs, avec leurs acteurs, se prsentent au souvenir sous l'aspect le plus aimable, car ils ont perdu ce qu'ils avaient d'irrel et de troublant. Le prsent, qui est priv de cet avantage, est toujours dfectueux.

Et, dans l'espace, de petits objets, vus de prÈs, .paraissent grands; vus de trÈs prÈs, ils couvrent mÊme tout le champ de notre vision; mais, dÈs que nous nous loignons un peu, ils deviennent petits et invisibles. De mÊme, dans le temps, les petits vnements et accidents quotidiens de notre vie, tant qu'ils sont là devant nous, nous paraissent grands, importants, considrables, et excitent en consquence nos affects : soucis, ennuis, passions; mais dÈs que l'infatigable torrent du temps les a seulement un peu loigns de nous, ils deviennent insignifiants, sans importance, et sont bientt oublis. C'est leur seul rapprochement qui faisait leur grandeur.

La joie et la souffrance n'tant pas des reprsentations, mais des affections de la volont, elles ne rsident pas non plus dans le domaine de la mmoire, et nous ne pouvons pas les rappeler elles-mÊmes, comme qui dirait les renouveler; ce sont seulement les reprsentations dont elles taient accompagnes que nous pouvons faire repasser devant nos yeux, et surtout nous rappeler nos manifestations provoques alors par elles, pour mesurer par là ce qu'elles ont t. Voilà pourquoi notre souvenir des joies et des souffrances est toujours incomplet, et que, une fois passes, elles nous sont indiffrentes. Il est inutile de chercher parfois à rafraichir les plaisirs ou les douleurs du pass. Leur essence proprement dite git dans la volont. Mais celle-ci, en soi et comme telle, n'a pas de mmoire, la mmoire tant une fonction de l'intellect qui, par sa nature, ne livre et ne renferme que de simples reprsentations : chose dont il ne s'agit pas ici. Il est trange que, dans les mauvais jours, nous puissions nous reprsenter trÈs vivement les jours heureux disparus; et que, par contre, dans les bons jours, nous ne nous retracions plus les mauvais que d'une faon trÈs incomplÈte et efface.

Il y a lieu de craindre, pour la mmoire, l'enchevÊtrement et la confusion des choses apprises, mais non l'encombrement proprement dit. Ses facults ne sont pas diminues de ce fait, pas plus que les formes dans lesquelles on a model successivement la terre glaise ne diminuent l'aptitude de celle-ci à de nouvelles formes. En ce sens, la mmoire est sans fond. Cependant, plus un homme a de connaissances diverses, plus il lui faudra de temps pour trouver ce qu'on exige soudainement de lui. Il est comme un marchand qui doit rechercher dans un norme magasin la marchandise qu'on lui demande; ou, à proprement parler, il a vapor, parmi tant d'ides qui taient à sa disposition, prcisment celle qui, par suite d'un exercice antrieur, l'amÈne à la chose rclame. La mmoire n'est pas en effet un rcipient oÙ l'on garde les objets, mais simplement une facult servant à l'exercice des forces intellectuelles. Aussi le cerveau possÈde-t-il toutes ses connaissances seulement potentia, jamais actu. Je renvoie à ce sujet au 45 de ma dissertation sur La quadruple racine du principe de la raison suffisante.

Parfois ma mmoire s'obstine à ne pas reproduire un mot d'une langue trangÈre, ou un nom, ou un terme d'art que je connais pourtant trÈs bien. AprÈs que je me suis plus ou moins longtemps inutilement tourment à leur sujet, je ne m'en occupe plus. Puis, au bout d'une heure ou deux, rarement davantage, parfois cependant au bout de quatre à six semaines, le mot cherch m'arrive si soudainement, au milieu d'un courant d'ides tout autre, que je pourrais croire qu'on vient de me le souffler du dehors. (Il est bon ensuite de fixer ce mot par un moyen mnmonique, jusqu'à ce qu'il s'imprime de nouveau dans la mmoire.) AprÈs avoir frquemment observ, en m'en tonnant, ce phnomÈne depuis de longues annes, j'en suis arriv à trouver vraisemblable l'explication suivante : à la suite de la pnible recherche inutile, ma volont conserve la curiosit du mot et lui constitue un surveillant dans l'intellect. Plus tard, quand, dans le cours et le jeu de mes ides, se prsente par hasard un mot commenant par les mÊmes lettres ou ressemblant à celui-là, le surveillant s'lance, complÈte le mot cherch, dont il s'empare brusquement et qu'il ramÈne en triomphe, sans que je sache oÙ et comment il l'a fait prisonnier; aussi semble-t-il avoir t murmur. C'est le cas de l'enfant qui ne peut pas prononcer un vocable. Le maitre finit par lui en indiquer la premiÈre et mÊme la seconde lettre, et le mot lui vient. Quand ce procd choue, il faut bien chercher le mot mthodiquement, à travers toutes les lettres de l'alphabet.

Les images intuitives se fixent plus solidement dans la mmoire que les simples notions. Aussi las cerveaux imaginatifs apprennent-ils plus facilement les langues que les autres. Ils associent immdiatement au mot nouveau l'image intuitive de la chose; tandis que les autres y associent seulement le mot quivalent de leur propre langue.

On doit chercher à ramener autant que possible à une image intuitive ce qu'on veut incorporer à la mmoire, soit indirectement, ou comme exemple de la chose, ou comme simple comparaison, analogie, et n'importe quoi d'autre; parce que tout ce qui est intuitif se fixe beaucoup plus solidement que ce qui n'est pens qu'in abstracto, ou que les simples mots. Voilà pourquoi nous retenons si incomparablement mieux ce que nous avons fait que ce que nous avons lu.

Le nom mnmonique convient moins à l'art de transformer artificiellement la mmoire indirecte en mmoire directe, qu'à une thorie systmatique de celle-ci, qui exposerait toutes ses particularits et les driverait de sa nature essentielle, et ensuite les unes des autres.

On n'apprend que de temps en temps ; mais on dsapprend toute la journe.

Notre mmoire ressemble à un crible qui, avec le temps et par l'usage, retient de moins en moins ce qu'on y met. Plus nous vieillissons, d'autant plus vite s'chappe de notre mmoire ce que nous lui confions dsormais. Elle conserve au contraire ce qui s'y est fix quand nous tions jeunes. Les souvenirs d'un vieillard sont donc d'autant plus nets qu'ils remontent plus loin, et le sont d'autant moins qu'ils se rapprochent davantage du prsent; de sorte que sa mmoire, comme sa vue, est devenue aussi presbyte ().

Il y a dans la vie des moments oÙ sans cause extrieure particuliÈre, plutt par un accroissement de la sensibilit, venant de l'intrieur, et seulement explicable d'une maniÈre physiologique, les choses ambiantes et le prsent prennent un degr de clart plus lev et rare; il rsulte de là que ces moments restent gravs d'une faon indlbile dans la mmoire et se conservent dans toute leur individualit, sans que nous sachions pour quelle raison, ni pourquoi, parmi tant de milliers de moments semblables, ceux-là prcisment s'imposent. C'est probablement par pur hasard, comme les exemplaires de races animales complÈtement disparues que contiennent les bancs de pierres, ou comme les insectes crass entre les pages d'un livre. Les souvenirs de cette espÈce, ajoutons-le, sont toujours doux et agrables.

Il advient parfois, sans cause apparente, que des scÈnes depuis longtemps oublies se prsentent soudainement et vivement à notre souvenir. Cela peut provenir, en beaucoup de cas, de ce que nous venons de sentir, maintenant comme jadis, une lgÈre odeur à peine perceptible. Les odeurs, on le sait, veillent avec une facilit toute particuliÈre le souvenir, et le nexus idearum na besoin en toute occasion que d'une incitation trÈs faible. Soit dit en passant, l'œil est la sens de l'intelligence, l'oreille le sens de la raison, et l'odorat le sens de la mmoire, comme nous le voyons ici. Le toucher et le goÛt sont des ralistes attachs au contact, sans ct idal.

La mmoire a aussi cette particularit, qu'une lgÈre ivresse renforce souvent beaucoup le souvenir des temps et des vnements passs, de maniÈre qu'on se rappelle toutes leurs circonstances plus complÈtement qu'on n'aurait pu le faire à l'tat de sobrit. Par contre, le souvenir de ce que l'on a dit ou fait pendant l'ivresse mÊme est plus incomplet qu'en temps ordinaire; aprÈs une forte ivresse, il n'existe mÊme plus. L'ivresse renforce donc le souvenir, mais ne lui apporte qu'un faible aliment.

Ce qui prouve que l'arithmtique est la plus basse de toutes les activits intellectuelles, c'est qu'elle est la seule qui puisse Être exerce aussi à l'aide d'une machine. On se sert djà beaucoup, en Angleterre, par commodit, de machines à calculer. Or, toute analysis finitorum et infinitorum se ramÈne finalement au calcul. On peut mesurer d'aprÈs cela le  profond sens mathmatique , qu'a djà raill Lichtenberg  . Il a dit en effet à ce sujet :  Les mathmaticiens de profession, appuys sur la naÏvet enfantine des autres hommes, se sont acquis une rputation de profondeur qui a beaucoup de ressemblance avec celle de saintet que s'arrogent les thologiens .

En rÈgle gnrale, les gens d'un trÈs grand talent s'entendront mieux avec les hommes d'une intelligence extrÊmement limite, qu'avec ceux d'une intelligence ordinaire. C'est pour la mÊme raison que le despote et la plÈbe, les grands-parents et les petits-enfants sont des allis naturels.

Les hommes ont besoin d'une activit extrieure, parce qu'ils sont dpourvus d'une activit intrieure. Mais quand celle-ci existe, celle-là produit plutt une perturbation trÈs dsagrable, et mÊme souvent excre. La premiÈre raison explique aussi l'agitation et la passion des voyages sans but des gens dsœuvrs. Ce qui les chasse ainsi à travers le monde, c'est le mÊme ennui qui, à la maison, les runit et les presse en tas, d'une faon vraiment risible à voir.

Cette vrit me fut confirme un jour d'une faon exquise par un inconnu d'une cinquantaine d'annes, qui me parlait de son voyage de plaisir pendant deux ans dans les contres trangÈres les plus lointaines. Comme je remarquais qu'il avait dÛ subir à cette occasion de grandes fatigues, de grandes privations et de grands dangers, il me fit immdiatement et sans prambule, mais en avanant des enthymÈmes, la rponse excessivement naÏve que voici :  Je ne me suis pas ennuy un seul instant .

Je ne m'tonne pas qu'ils s'ennuient quand ils sont seuls : ils ne peuvent pas rire seuls, et mÊme cela leur parait fou. Le rire ne serait-il donc qu'un signal pour les autres et un simple signe, comme le mot ? Manque gnral d'imagination et de vivacit d'esprit (dulness, sottise,   (hbtude et lourdeur d'ame), comme dit Thophraste (CaractÈres, chap. XXVII), voilà ce qui les empÊche de rire quand ils sont seuls. Les animaux ne rient ni seuls ni en socit.

Un homme de cette espÈce ayant surpris Myson le misanthrope à rire tout seul, lui demanda pourquoi il riait:  Prcisment parce que je suis seul , rpondit-il.

Celui qui, avec un temprament flegmatique, n'est qu'un imbcile, serait un fou avec un temprament sanguin.

Les gens qui ne vont pas au thatre ressemblent à celui qui fait sa toilette sans miroir; mais celui-là agit plus mal encore, qui prend ses dcisions sans recourir aux conseils d'un ami. Un homme peut avoir en effet en toutes choses le jugement le plus juste et le plus net, sauf dans ses propres affaires; car ici la volont drange aussitt le concept de l'intellect. Voilà pourquoi il faut consulter les autres, pour la mÊme raison qu'un mdecin, qui soigne tout le monde, ne se soigne pas lui-mÊme, et fait appeler un confrÈre.

La gesticulation naturelle ordinaire qui accompagne toute conversation vive, est une langue à soi, et beaucoup plus universelle que celle des mots; tant indpendante de ceux-ci, elle est la mmo chez toutes les nations, quoique chacune en fasse usage en proportion de sa vivacit. Il en est mÊme quelques-unes, comme la nation italienne, par exemple, oÙ elle s'augmente de certains gestes purement conventionnels qui n'ont par consquent qu'une valeur locale.

L'usage universel de la gesticulation est analogue à celui de la logique et de la grammaire, car elle exprime simplement la forme, et non la matiÈre de la conversation. Elle se distingue cependant de la logique et de la grammaire, en ce qu'elle se rapporte non seulement au ct intellectuel, mais aussi au ct moral, c'est-à-dire aux mouvements de la volont. Elle accompagne ainsi la conversation, comme une basse correctement progressive accompagne la mlodie, et sert, de mÊme que cette basse, à renforcer l'effet. Le caractÈre le plus intressant de la gesticulation, c'est que, dÈs que la parole prend la mÊme forme, il y a rptition des mÊmes gestes. Il en est ainsi, quelque diffrente que puisse Être la matiÈre, c'est-à-dire la circonstance. De sorte que je puis trÈs bien comprendre la signification gnrale, c'est-à-dire simplement formelle et typique d'une conversation anime, en regardant par la fenÊtre, sans entendre un seul mot. Je sens infailliblement que la personne qui parle, argumente, expose ses raisons, puis les rsume, insiste, tire une conclusion victorieuse; ou bien elle rapporte quelque tort qu'on lui a caus, dpeint au vif et sur un ton d'accusation la duret de cœur et la sottise de ses adversaires; ou bien elle raconte comment elle a imagin un plan superbe dont elle dcrit le succÈs, à moins qu'elle ne se plaigne qu'au contraire ce plan n'ait pas russi, par la faute du hasard, ou qu'elle n'avoue son impuissance dans le cas en question; ou bien enfin elle narre qu'elle a vu clair à temps dans les machinations d'autrui, et, en affirmant ses droits ou en usant de sa force, les a djoues et a puni leurs auteurs; et mille autres choses semblables. Mais, ce que la gesticulation seule m'apporte en ralit, c'est la matiÈre essentielle - morale ou intellectuelle - de la parole in abstracto. La quintescence, la vraie substance de celle-ci demeure identique au milieu des sujets les plus diffrents et aussi de la matiÈre la plus diffrente, et se comporte à l'gard de celle-ci comme la notion à l'gard des individus.

Le ct le plus intressant et le plus amusant de la chose est, comme il a t dit, la complÈte identit et stabilit des gestes pour dpeindre les mÊmes circonstances, mÊme si ces gestes sont employs par les personnes les plus diffrentes; juste comme les mots d'une langue sont les mÊmes dans la bouche de chacun, et ne subissent que les petites modifications rsultant de la prononciation ou de l'ducation. Et cependant ces formes persistantes et universellement suivies de la gesticulation ne sont certainement pas le rsultat d'une convention; elles sont naturelles et primordiales, un vrai langage de la nature, bien qu'elles puissent Être fortifies par l'imitation et l'habitude. L'acteur et l'orateur, celui-ci à un degr moindre, doivent, on le sait, tudier soigneusement la gesticulation. Mais celle-ci consiste principalement dans l'observation et l'imitation. Il est en effet difficile de ramener cette matiÈre à des rÈgles abstraites, si l'on en excepte quelques principes tout à fait gnraux, comme celui-ci, par exemple : le geste ne doit pas suivre le mot, mais il doit plutt le prcder immdiatement, pour l'annoncer et provoquer ainsi l'attention.

Les Anglais ont un mpris tout particulier pour la gesticulation, qu'ils regardent comme une chose indigne et commune; mais je vois simplement en cela l'un des sots prjugs de la pruderie anglaise. Il s'agit en effet du langage que la nature donne à chacun et que chacun comprend. Aussi, le supprimer et l'interdire sans autre forme de procÈs, uniquement pour l'amour de l'illustre  gentlemanry , me semble chose scabreuse.



LEsprance est un tat auquel tout notre Être, cest-à-dire volont et intellect : celle-là, en dsirant son objet : celui-ci, en le supputant comme vraisemblable. Plus forte est la part du dernier facteur et plus faible celle du premier, et mieux lesprance sen trouve; dans le cas inverse, cest le contraire.

Est-il bien ncessaire de rappeler que Nessus, en mourant de la flÈche que lui avait lance Hercule, donna à Djanire, femme de ce hros, sa tunique comme un talisman qui devait lui ramener son poux, sil devenait infidÈle, et qui, empoisonne, occasionna au fils de Jupiter des souffrances tellement atroces, quil y mit fin en se prcipitant sur le bÛcher quil avait prpar de ses propres mains sur le mont Œta ? (Le trad.)

Bertolotti (Davide), n à Milan, fut poÈte tragique et lyrique, nouvelliste, historien, biographe, auteur de guides de voyages, etc. Son activit littraire stend de la fin de lEmpire au rÈgne de Louis-Philippe. La nouvelle à laquelle fait allusion Schopenhauer a t traduite en franais, sous ce titre : LIndienne, ou les funestes effets de la jalousie, dans un petit volume de Romans et nouvelles, 1824, Paris, in-12. (Le trad.)

 La vengeance est pour la bouche le plus suave morceau qui ait jamais t cuit en enfer .

Voir plus haut.

 Tandis que les autres animaux ont la face courbe vers la terre 

 (le fils de Japhet) donna à lhomme un front lev, lui ordonna de contempler les cieux et de lever ses regards vers les astres .

Ovide, Mtamorphoses, livre I, chapitre Ier.

En franais dans le texte.

 La plus grande honte pour un homme est de donner des preuves quil est un homme .

(Voir, sur Gracian, Ecrivains et style, note de la page 153).

Dans la tragdie de Schiller, ou peut-Être dans limitation quen donne Pierre Lebrun. (Le trad.)

 Prendre trÈs au srieux la vie .

 Cela na pas grande importance .

 Rien, dans les choses humaines, ne mrite quon se tracasse beaucoup. 

 On peut sourire, sourire encore, et Être un coquin .

En franais dans le texte.

Valerii Maximi Dictorum Factorumque memorabilium libri IX. Cest au chap. VII du livre III que se trouvent ces exemples, qui mettent en scÈne les Scipions, Licinius, Crassus, Caton lancien, lorateur Antoine, le poÈte Accius, et beaucoup dautres, Romains et Grecs. (Le trad.)

 Quel projet conois-tu dune faon si heureuse, que tu ne te repentes de ton effort et de la russite de ton dsir ? 

Juvnal, Satire X, vers 5-6.

Spirituel crivain et penseur allemand (1742-1799) que Schopenhauer aime à citer, et dont nous avons dit un mot dans la Prface dEcrivains et style, page 18. (Le trad.)



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