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Civilisation de l’Europe par les Arabes; leur influence en Orient et en Occident

l'histoire



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Civilisation de l’Europe par les Arabes; leur influence en Orient et en Occident

1. – Influence des Arabes en Orient



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L'Orient a été soumis par des peuples divers, Perses, Grecs, Romains, etc., mais si leur influence politique a toujours été très grande, leur action civilisatrice a généra­lement été très faible. À l'exception des villes directement occupées par eux, ils ne réussirent pas à faire accepter leur religion, leur langue et leurs arts. Sous les Ptolé­mées, comme sous les Romains, l'immuable Égypte resta fidèle à son passé, et ce sont les vainqueurs qui adoptèrent la religion, la langue et l'architecture des vaincus. Les monuments construits par les Ptolémées, restaurés par les Césars, restèrent toujours dans le style pharaonique.

Ce que ni les Grecs, ni les Perses, ni les Romains n'avaient pu réaliser en Orient, les Arabes l'obtinrent rapidement et sans violence. L'Égypte semblait assurément la contrée la plus difficile à soumettre à une influence étrangère, et cependant, moins d'un siècle après l'envahissement d'Amrou, elle avait oublié ses six à sept mille ans de civilisation passée, et possédait une religion nouvelle, une langue nouvelle, un art nouveau assez solidement établis pour survivre au peuple qui les avait fait accepter.

Avant les Arabes, les Égyptiens n'avaient changé de religion qu'une fois, à l'épo­que où les empereurs de Constantinople avaient saccagé le pays, brisant ou martelant tous les monuments des temps passés, et interdisant sous peine de mort le culte des anciens dieux. Les Égyptiens avaient subi la religion nouvelle imposée par la violence, bien plus qu'ils ne l'avaient acceptée. Leur empressement à renoncer au christianisme pour adopter l'islamisme prouve combien la première de ces croyances avait eu peu d'action sur eux.

L'influence profonde qu'exercèrent les Arabes en Égypte se fit sentir également dans tous les pays : Afrique, Syrie, Perse, etc., où ils plantèrent leur drapeau. Ils l'exercèrent jusque dans l'Inde, où ils ne firent pourtant que passer, jusqu'en Chine qui ne fut cependant visitée que par leurs marchands.

L'histoire ne présente pas d'exemple plus frappant de l'action d'un peuple. Toutes les nations avec lesquelles les Arabes furent en contact, ne fut-ce que pour un instant, acceptèrent leur civilisation, et, lorsqu'ils disparurent de l'histoire, les conquérants qui les avaient vaincus : Turcs, Mongols, etc., reprirent leurs traditions et se posèrent comme propagateurs de leur influence dans le monde. La civilisation arabe est morte depuis bien des siècles ; mais de l'Atlantique à l'Indus, de la Méditerranée au désert il n'y a plus guère aujourd'hui qu'une religion et qu'une langue, celles des disciples du prophète.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 447

la figure # 331

Façade de l'alcazar de Ségovie, état actuel ; d'après une photographie.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Cette influence des Arabes en Orient ne s'est pas fait sentir seulement dans la religion, la langue et les arts, elle s'est étendue sur la culture des sciences. En relations constantes avec l'Inde et la Chine, les musulmans transmirent à ces contrées une grande partie des connaissances scientifiques, que les Européens ont considérées plus tard comme étant d'origine chinoise ou hindoue. Sédillot a justement insisté sur ce point. Il a fait voir, par exemple, que l'Arabe Albirouni, qui mourut en 1031 de notre ère, et qui voyageait aux Indes fit pour les Hindous des extraits importants d'ouvrages scientifiques, que ces derniers traduisirent ensuite, suivant leur habitude, en distiques sanscrits. Il ne faudrait pas d'ailleurs tirer de ce fait des conclusions trop étendues. La supériorité scientifique des Arabes sur les Hindous est évidente ; mais la supériorité philosophique et religieuse des seconds sur les premiers ne l'est pas moins. Il n'y a même pas à comparer les banalités du Coran, et sa métaphysique enfantine, commune du reste à toutes les religions sémitiques, avec ces conceptions des Hindous dont j'ai eu l'occasion d'indiquer dans un autre ouvrage l'étonnante profondeur.

Les emprunts faits par les Chinois aux Arabes semblent plus importants encore que ceux faits par les Hindous. Nous avons montré, dans un précédent chapitre, que la science arabe pénétra en Chine à la suite de l'invasion mongole, et que le célèbre astronome chinois Cocherou-King reçut en 1280 le traité d'astronomie d'Ibn Jounis et le fit connaitre en Chine. La médecine arabe y fut introduite en 1215 avec l'invasion de Kublaï.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 448

la figure # 332

Alcazar de Ségovie (style hispano-arabe) ; d'après un ancien dessin de Wiesener.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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L'influence scientifique des Arabes sur les Orientaux s'est continuée jusqu'à nos jours. C'est encore dans leurs livres que les Persans étudient les sciences, et nous avons vu que l'arabe joue en Perse un rôle analogue à celui exercé en Occident par le latin au moyen age.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 449

la figure # 333

Tour de Bélem, Portugal (style hispano-arabe) ; d'après une photographie.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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2. - Influence des Arabes
en Occident

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Influence scientifique et littéraire des Arabes. - Nous allons essayer de démontrer maintenant que l'action exercée par les Arabes sur l'Occident fut également considé­rable, et que c'est à eux qu'est due la civilisation de l'Europe. Leur influence ne fut pas moins grande qu'en Orient, mais elle fut différente. Dans les pays orientaux elle se fit surtout sentir sur la religion, la langue et les arts. En Occident, l'influence engendrée par la religion fut nulle ; celle exercée par les arts et la langue, faible, celle résultant de l'enseignement scientifique, littéraire et moral, immense.

L'importance du rôle exercé par les Arabes en Occident ne peut se comprendre qu'en ayant présent à l'esprit l'état de l'Europe à l'époque où ils y introduisirent la civilisation.

Si l'on se reporte aux neuvième et dixième siècles de notre ère, alors que la civi­lisation musulmane de l'Espagne brillait du plus vif éclat, on voit que les seuls centres intellectuels du reste de l'Occident étaient de massifs donjons habités par des seigneurs demi-sauvages, fiers de ne savoir pas lire. Les personnages les plus instruits de la chrétienté étaient de pauvres moines ignorants passant leur temps à gratter pieusement au fond de leurs monastères les copies des chefs-d’œuvre de l'antiquité pour se procurer le parchemin nécessaire à la transcription d'ouvrages de piété.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 450

la figure # 334

Abside de l'église de Saint-Pierre, à Calatayud (style hispano-arabe) ;
d'après une ancienne gravure.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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La barbarie de l'Europe fut pendant longtemps trop grande pour qu'elle s'aperçût de sa barbarie. Ce n'est guère qu'au onzième et surtout au douzième siècle que quel­ques aspirations scientifiques se produisirent. Lorsque quelques esprits un peu éclairés sentirent le besoin de secouer le linceul de lourde ignorance qui pesait sur eux, c'est aux Arabes, les seuls maitres existant alors, qu'ils s'adressèrent.

Ce ne fut pas par les croisades, comme on le répète généralement mais par l'Espagne, la Sicile et l'Italie, que la science pénétra en Europe. Dès 1130, un collège de traducteurs, établi à Tolède et patronné par l'archevêque Raymond, commença la traduction en latin des plus célèbres auteurs arabes. Le succès de ces traductions fut considérable ; un monde nouveau était révélé à l'Occident, et dans tout le courant des douzième, treizième et quatorzième siècles, elles ne se ralentirent pas. Non seulement les auteurs arabes comme Rhazès, Albucasis, Avicenne, Averroès, etc., furent traduits en latin, mais encore les auteurs grecs, tels que Galien, Hippocrate, Platon, Aristote, Euclide, Archimède, Ptolémée, que les musulmans avaient traduits dans leur propre langue. Dans son histoire de la médecine arabe, le docteur Leclerc porte à plus de trois cents le nombre des ouvrages arabes traduits en latin. Le moyen age ne connut l'antiquité grecque qu'après qu'elle eut passé d'abord par la langue des disciples de Mahomet. C'est grace à ses traductions que d'anciens auteurs, dont les ouvrages origi­naux sont perdus, ont été conservés jusqu'à nous. Tels sont entre autres les sections coniques d'Apollonius, les commentaires de Galien sur les épidémies, le traite des pierres d'Aristote, etc. C'est aux Arabes seuls, et non aux moines du moyen age, qui ignoraient jusqu'à l'existence du grec, qu'est due la connaissance de l'antiquité et le monde leur doit une reconnaissance éternelle pour avoir sauvé ce précieux dépôt. « Effacez les Arabes de l'histoire, écrit M. Libri, et la renaissance des lettres sera retardée de plusieurs siècles en Europe. »

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 451

les figures # 335-343

Chapiteaux arabes et de style hispano-arabe. (Musée espagnol d'antiquités.)

téléchargeables sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Ce fut donc uniquement à la présence des Arabes en Espagne, au dixième siècle, qu'un petit coin de l'Occident dut de conserver le culte des lettres et des sciences abandonné partout, même à Constantinople. Il n'y avait plus alors, en dehors de l'Orient musulman, que sur le sol arabe de l'Espagne que l'étude fut possible, et c'est là en effet que venaient étudier les rares chercheurs qui s'intéressaient aux choses scientifiques. C'est là, suivant une tradition contestée, mais dont l'inexactitude n'a pas été démontrée, que vint s'instruire Gerbert, qui fut pape en 999, sous le nom de Sylvestre II. Lorsqu'il voulut ensuite répandre sa science en Europe, elle parut si prodigieuse qu'on l'accusa d'avoir vendu son ame au diable. Jusqu'au quinzième siècle, on ne citerait guère d'auteur qui ait fait autre chose que copier les Arabes, Roger Bacon, Léonard de Pise, Arnaud de Villeneuve, Raymond Lulle, saint Thomas, Albert le Grand, Alphonse X de Castille, etc., furent leurs disciples ou leurs copistes. « Albert le Grand doit tout à Avicenne, nous dit M. Renan, saint Thomas comme philosophe doit tout à Averroès. »

Ce sont les traductions des livres arabes, surtout ceux relatifs aux sciences, qui servirent de base à peu près exclusive à l'enseignement des universités de l'Europe pendant cinq à six cent ans. Dans certaines branches des sciences, la médecine par exemple, on peut dire que leur influence s'est prolongée jusqu'à nos jours, car à la fin du siècle dernier, on commentait encore, à Montpellier, les oeuvres d'Avicenne.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 452

la figure # 344

Arcade de la Aljaféria de Sarragosse.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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L'influence des Arabes sur les universités de l'Europe fut tellement immense qu'elle se manifesta dans des branches de connaissances telles que la philosophie, où ils n'avaient pas réalisé cependant de progrès importants. Averroès fut depuis le com­mencement du treizième siècle l'autorité suprême de la philosophie dans nos universités. Quand Louis XI entreprit, en 1473, de régler l'enseignement, il ordonna l'étude de la doctrine du philosophe arabe et celle d'Aristote.

L'autorité des Arabes dans les universités de l'Italie, celle de Padoue notamment, n'était pas moindre qu'en France. Ils y jouaient un rôle identique à celui que devaient remplir après la Renaissance les Grecs et les Latins. Il faut les protestations indignées de Pétrarque, pour comprendre l'étendue de leur influence : « Quoi, s'écrie le grand poète, Cicéron a pu être orateur après Démosthène, Virgile poète après Homère ; et, après les Arabes il ne serait plus permis d'écrire ! Nous aurons souvent égalé, quel­quefois surpassé les Grecs et par conséquent toutes les nations, excepté, dites-vous, les Arabes. O folie! O vertige ! O génie de l'Italie assoupi ou éteint ! »

Dans toutes les doctrines scientifiques et philosophiques, que les Arabes propa­gèrent pendant plus de cinq siècles dans le monde, l'influence du Coran fut aussi nulle que celle de la Bible dans les ouvrages de science modernes. Le Coran constituait un corps de doctrines que les savants respectaient à peu près, parce qu'il était l'origine de la puissance des Arabes et bien adapté aux besoins des foules, aussi peu préparées qu'elle le sont, maintenant encore, à profiter des enseignements des sciences et de la philosophie. Mais les savants ne se préoccupaient nullement des divergences existant entre les résultats de leurs découvertes et les théories du livre sacré. Quand ils allaient trop loin, c'est-à-dire quand leur libre pensée descendait jusqu'à la foule, les khalifes, leurs protecteurs habituels, étaient obligés de les proscrire momentanément pour respecter le sentiment populaire, et ne pas être ébranlés ; mais l'orage passait vite, et ils étaient bientôt rappelés. Ce ne fut, ainsi que le fait très justement observer M. Renan, que lorsqu'au treizième siècle les Arabes disparurent de la scène du monde, et que leur pouvoir tombe entre les mains de « races lourdes, brutales et sans esprit, » Turcs, Berbères, etc., que l'intolérance commença à régner chez les musulmans. Ce ne sont pas le plus souvent les doctrines qui sont intolérantes, ce sont les hommes. La race arabe était trop fine, et trop indulgente, pour se départir jamais de cette tolérance dont elle avait fait preuve partout, dès le début de ses conquêtes.

Pendant toute la durée de la période brillante de la civilisation arabe on peut dire que la tolérance religieuse fut absolue. Nous en avons fourni trop de preuves pour avoir à y revenir longuement et nous nous bornerons à mentionner encore le récit traduit par M. Dozy d'un théologien arabe qui assista à Bagdad à plusieurs confé­rences philosophiques où prenaient part des gens de toute croyance : juifs, athées, guèbres, musulmans, chrétiens, etc. Chacun était écouté avec la plus grande défé­rence, et on ne lui demandait que de fournir des arguments tirés de la raison et non de l'autorité d'un livre religieux quelconque. Après plus de mille ans de guerres effroya­bles, de haines séculaires, de carnages sans pitié, l'Europe n'a pu encore s'élever à une tolérance semblable.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 454

la figure # 345

Arcade de style hispano-arabe (Tolède) (Musée espagnol d'antiquités.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Si l'influence des Arabes a été considérable dans les parties de l'Europe où ils ne pouvaient dominer que par leurs oeuvres, on peut prévoir facilement qu'elle a dû être plus grande dans le centre où ils régnaient en maitres, c'est-à-dire en Espagne. Le meilleur moyen d'apprécier cette influence d'une façon indiscutable, c'est de voir ce qu'était l'Espagne avant les Arabes, ce qu'elle a été sous leur domination, et ce qu'elle est devenue quand ils ont disparu. Ce qu'elle était avant eux et pendant leur puissance, nous l'avons montré déjà, et avons fait voir à quel degré de prospérité la péninsule s'éleva sous leur empire. Ce qu'elle fut après eux, nous l'avons dit aussi, mais nous allons avoir occasion d'y revenir bientôt en étudiant les successeurs des Arabes. Nous verrons alors que leur expulsion fut suivie d'une décadence dont l'Espagne s'est pas relevée encore. On ne saurait invoquer d'exemple plus clair de l'influence d'un peuple sur un autre. L'histoire n'en fournit pas de plus frappant.

De tout ce qui précède deux conséquences importantes découlent. La première, que l'islamisme, considéré comme religion, n'eut aucune influence sur les travaux scientifiques et philosophiques des Arabes ; la seconde, que l'action exercée sur l'Occident par l'Orient est uniquement due aux Arabes. Les races inférieures qui les remplacèrent ont pu exercer une action politique ou religieuse plus ou moins grande, mais leur influence scientifique, littéraire et philosophique a été radicalement nulle.

Influence des Arabes sur l'architecture. - L'influence des Arabes sur les arts de l'Europe, et principalement sur son architecture, n'est pas douteuse ; mais elle me semble plus faible qu'on ne le croit généralement. Il ne me semble pas, en tout cas, qu'on puisse la chercher où on la place habituellement, et dire, par exemple, que le moyen age a emprunté aux Arabes l'architecture ogivale. Alors même qu'on admet­trait, avec beaucoup d'auteurs, que l'ogive a été empruntée aux Arabes, qui en firent en effet usage en Égypte, en Sicile et en Italie dès le dixième siècle, je ne crois pas qu'on puisse en tirer la conclusion que notre architecture gothique leur est due. Entre une cathédrale gothique des treizième ou quatorzième siècles et une mosquée de la même époque, il y a un véritable abime. La forme ogivale des portes et des fenêtres n'est pas tout dans un monument. Il se compose d'une série d'éléments variés, dont on ne peut déterminer la valeur qu'en examinant l'ensemble de l'édifice. Cet ensemble seul permet d'apprécier son style. Le style gothique, ou ogival, ne s'est pas formé d'une seule pièce ; il dérive du roman, né lui-même du latin et du byzantin par une série de modifications. Quand il fut constitué, il forma un style absolument original, entièrement différent de ceux qui l'avaient précédé. Une belle église gothique repré­sente à mon sens ce que l'art a peut-être produit de plus beau parmi toutes les oeuvres humaines, y compris les monuments les plus parfaits de l'antiquité gréco-latine.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 455

la figure # 346

Détails de la décoration de l'église El Transito (ancienne synagogue de Tolède) ;
style judéo-arabe.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Alors même, du reste, que le moyen age eut emprunté aux Arabes les principes de son architecture, les races de l'Occident et de l'Orient avaient des besoins et des goûts si différents, vivaient dans des milieux si dissemblables, que les arts, simple expres­sion des besoins et des sentiments d'une époque, devaient forcément bientôt se différencier.

Mais tout en reconnaissant qu'il n'y a aucune analogie entre l'architecture gothi­que, lorsqu'elle est constituée, et l'architecture arabe, nous ne devons pas méconnaitre l'importance des emprunts de détails faits par les Occidentaux aux Orientaux. Ils ont été reconnus, du reste, par les auteurs les plus compétents, et il n'y a qu'à les laisser parler :

« On ne peut mettre en doute, dit Batissier, que les architectes français des onziè­me et douzième siècles n'aient emprunté des éléments importants de construc­tion et de décoration à l'art oriental Ne trouvons-nous pas sur un monument chrétien des plus révérés, la cathédrale du Puy, une porte chargée d'une inscription en caractères arabes ? N'y a-t-il pas à Narbonne et ailleurs des fortifications couronnées dans le goût arabe ?

M. Lenormant, aussi compétent que Batissier sur ces questions, fait remarquer que l'influence arabe se retrouve en France dans plusieurs églises, telles que celle de Maguelonne (1178), ville qui entretenait des rapports suivis avec l'Orient, de Candé (Maine-et-Loire), de Gamache (Somme), etc.

M. Ch. Blanc a bien marqué dans le passage suivant les emprunts archo-tectoni­ques faits par les Européens aux Arabes. « Sans exagérer, dit-il, la part de l'influence de peuple à peuple, comme on le fait aujourd'hui, on doit reconnaitre que c'est après avoir vu les moucharabiehs, les balcons des minarets et tous les encorbel­lements de l'architecture arabe, que les croisés importèrent en France l'usage, si fréquent dans nos constructions civiles et militaires du moyen age, des échauguettes, des machicoulis, des tourelles en saillie, des corniches à balustrade. »

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 456

la figure # 347

Détails de décoration de l'église El Transito de Tolède (style judéo-arabe).

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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M. Prisse d'Avesne, si versé également dans ce qui concerne l'architecture arabe, professe une opinion analogue. Suivant lui, « ce serait des Arabes que les chrétiens auraient emprunté ces gracieuses tourelles qui jusqu'à la fin du seizième siècle furent d'un si grand usage en Occident. »

Il ne faut pas oublier, d'ailleurs, que les Européens du moyen age employèrent beaucoup d'architectes étrangers, à l'égard desquels ils n'exerçaient qu'un rôle d'ins­piration analogue à celui exercé d'abord par les Arabes sur les Byzantins. Ces architectes venaient un peu de partout. Charlemagne en fit venir beaucoup d'Orient. M. Viardot cite un passage de Dulaure qui, dans son histoire de Paris, dit que des architectes arabes furent employés dans la construction de Notre-Dame de Paris.

Ce fut surtout en Espagne, qu'oublient cependant de mentionner les auteurs que je viens de citer, que l'influence des Arabes fut considérable. Nous avons dit déjà que la combinaison des arts chrétien et arabe donna naissance à un style particulier, dit mudejar qui fleurit surtout aux quatorzième et quinzième siècles. Les dessins de ce chapitre en donnent d'importants exemples. Les tours de plusieurs églises de Tolède, entre autres, ne sont que des copies de minarets, Les anciens édifices construits par les chrétiens dans les provinces indépendantes, pendant l'époque musulmane, sont bien plus arabes que chrétiens. Tel est, par exemple, le célèbre alcazar de Ségovie, dont j'ai donné plusieurs figures, l'une d'après une ancienne gravure le représentant tel qu'il était avant l'incendie de 1862, les autres, d'après des photographies, dans son état actuel. On sait que ce chateau fut construit au onzième siècle, c'est-à-dire au temps du Cid, par Alfonse VI qui, chassé de ses États par son frère, se réfugia chez les Arabes de Tolède, étudia leur alcazar, et, revenu dans ses États, construisit un chateau semblable à celui qu'il avait vu. Ce monument est fort intéressant comme étant le type, à peu près disparu aujourd'hui, d'un ancien chateau fort arabe de l'Espagne. Bien d'autres monuments, qualifiés de gothiques purs par certains auteurs, tels que la tour de Bélem, près de Lisbonne, me semblent, par leur forme générale, leurs tourelles en saillie, leurs créneaux, et d'autres détails encore, directement inspirés des Arabes.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 457

la figure # 348

Fragment de l'ancienne arcade de l'église du couvent des religieuses du Corps du Christ,
à Ségovie (style hispano-arabe).

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Il s'en faut, du reste, que l'influence arabe soit entièrement morte en Espagne. Cer­taines cités, Séville surtout, sont pleines de souvenir des Arabes. Les maisons s'y construisent encore à la mode musulmane, et ne diffèrent guère de leurs modèles que par la pauvreté de leur ornementation. Les danses et la musique sont véritablement arabes ; et, comme je l'ai déjà dit, le mélange du sang oriental s'y constate facilement. On peut anéantir un peuple, brûler ses livres, détruire ses monuments ; mais l'influ­ence qu'il a su acquérir est souvent plus résistante que l'airain : il n'est pas de puissance humaine capable de la détruire. Les siècles y réussissent à peine.

Influence des Arabes sur les mœurs - Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dit dans un précédent chapitre, de l'influence exercée par les Arabes en Europe. Nous avons fait voir ce qu'étaient les mœurs des seigneurs chrétiens à cette époque et celles des disciples du prophète, et montré que ce n'est qu'au contact des premiers que les chrétiens perdirent leur barbarie et adoptèrent les coutumes de la chevalerie et les obligations qu'elle entraine : égards pour les femmes, les vieillards, les enfants ; res­pect de la parole jurée, etc. Dans notre chapitre des croisades, nous avons montré également combien l'Europe chrétienne était inférieure encore sous ce rapport à l'Orient musulman. Si les religions avaient sur les mœurs l'influence très grande qu'on leur attribue généralement, mais que nous ne saurions leur reconnaitre au même degré, il y aurait un frappant parallèle à faire entre l'islamisme et les autres croyances qui se prétendent pourtant bien supérieures à lui.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 458

la figure # 349

Porte du Pardon, à Cordoue (style hispano-arabe) ; d'après une photographie.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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L'influence morale des Arabes sur l'Europe ayant été suffisamment traitée dans le chapitre auquel nous avons fait allusion plus haut, nous y renverrons le lecteur. Nous nous bornerons à rappeler la conclusion à laquelle nous avons été conduit, et qui s'était imposée également à un savant fort religieux, M. Barthélemy Saint-Hilaire, dans son livre sur le Coran.

« Au commerce des Arabes et à leur imitation, dit-il, les rudes seigneurs de notre moyen age amollirent leurs grossières habitudes, et les chevaliers, sans rien perdre de leur bravoure, connurent des sentiments plus délicats, plus nobles et plus humains. Il est douteux que le christianisme seul, tout bienfaisant qu'il était, les leur eût inspirés. »

Après un tel exposé, le lecteur se demandera peut-être pourquoi l'influence des Arabes est si méconnue aujourd'hui par des savants que l'indépendance de leur esprit semble placer au-dessus de tout préjugé religieux. Cette question, je me la suis posée également, et je crois qu'il n'y a qu'une réponse à faire : c'est qu'en réalité, l'indépen­dance de nos opinions est beaucoup plus apparente que réelle, et que nous ne sommes nullement libres de penser, comme nous le voulons, sur certains sujets. Il y a toujours deux hommes en nous, l'homme moderne, tel que l'ont fait les études personnelles, l'action du milieu moral et intellectuel, et l'homme ancien, lentement pétri par l'influence de ses ancêtres, et dont l'ame inconsciente n'est que la synthèse d'un long passé. Cette ame inconsciente, c'est elle, et elle seule, qui parle chez la plupart des hommes et, sous des noms divers, maintient en eux les mêmes croyances. Elle leur dicte leurs opinions, et les opinions dictées par elle semblent trop libres en apparence pour ne pas être respectées.

Or, les disciples de Mahomet ont été pendant des siècles les plus redoutables ennemis qu'ait connus l'Europe. Quand ils ne nous ont pas fait trembler par leurs armes comme au temps de Charles-Martel, à l'époque des croisades, ou lorsqu'après la prise de Constantinople, ils menaçaient l'Europe, les musulmans nous ont humiliés par l'écrasante supériorité de leur civilisation, et ce n'est que d'hier seulement que nous sommes soustraits à leur influence.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 459

la figure # 350

Battant de la porte du Pardon, à Cordoue.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Les préjugés héréditaires que nous professons contre l'islamisme et ses disciples, ont été accumulés pendant trop de siècles pour ne pas faire partie de notre organi­sation. Ces préjugés sont aussi naturels et aussi invétérés que la haine - dissimulée quelquefois, profonde toujours - des juifs contre les chrétiens.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 460

la figure # 351

Porte de la sacristie du maitre autel de la cathédrale de Séville (style hispano-arabe).

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Si nous joignons à nos préjugés héréditaires contre les mahométans cet autre préjugé héréditaire également, et accru à chaque génération par notre détestable éducation classique, que toutes les sciences et la littérature du passé viennent unique­ment des Grecs et des Latins, nous comprendrons aisément que l'influence immense des Arabes dans l'histoire de la civilisation de l'Europe soit si généralement méconnue.

Il semblera toujours humiliant à certains esprits de songer que c'est à des infidèles que l'Europe chrétienne doit d'être sortie de la barbarie, et une chose si humiliante en apparence ne sera que bien difficilement admise 

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 461

la figure # 352

Collier en or fabriqué à Grenade, style hispano-arabe du quatorzième siècle

(musée archéologique de Madrid) ; d'après une photographie.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Nous conclurons ce chapitre en disant que la civilisation musulmane eut dans le monde une influence immense et que cette influence n'est due qu'aux Arabes et non aux races diverses qui ont adopté leur culte. Par leur influence morale, ils ont policé les peuples barbares qui avaient détruit l'empire romain ; par leur influence intellec­tuelle, ils ont ouvert à l'Europe le monde des connaissances scientifiques, littéraires et philosophiques qu'elle ignorait, et ont été nos civilisateurs et nos maitres pendant six cents ans.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 462

la figure # 353

Lampe en verre émaillé ; d'après Prisse d'Avesnes.

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La civilisation des Arabes (1884).

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Fin du livre V : “ La civilisation des Arabes ”



Lorsque les préjugés de l'hérédité et de l'éducation se rencontrent chez un savant trop instruit pour ne pas savoir à quoi s'en tenir sur le fond des choses, l'antagonisme intérieur entre l'homme ancien créé par le passé, et l'homme moderne formé par l'observation personnelle, produit dans l'expres­sion des opinions les contradictions les plus curieuses. Le lecteur trouvera un exemple remar­quable de ces contradictions, dans l'intéressante conférence faite à la Sorbonne, sur l'islamisme, par un écrivain aussi charmant que savant, M. Renan. « L'auteur veut prouver la nullité des Arabes, mais chacune de ses assertions se trouve généralement combattue par lui-même à la page suivante. C'est ainsi, par exemple, qu'après avoir établi que, pendant 600 ans, les progrès des sciences ne sont dus qu'aux Arabes, et montré que l'intolérance n'apparut dans l'islamisme que lorsqu'ils furent remplacés par des races inférieures, tels que les Berbères et les Turcs, il assure que l'islamisme a toujours persécuté la science et la philosophie et écrasé l'esprit des pays qu'il a conquis. Mais un observateur aussi pénétrant que M. Renan ne peut rester longtemps sur une proposition aussi contraire aux enseignements les plus évidents de l'histoire : les préjugés s'effa­cent un instant, le savant reparait et est obligé de reconnaitre l'influence exercée par les Arabes sur le moyen age, et l'état prospère des sciences en Espagne pendant leur puissance. Malheureusement les préjugés inconscients l'emportent bientôt, et l'auteur assure que les savants arabes n'étaient pas du tout des Arabes, mais bien des gens de Samarkand, Cordoue, Séville, etc. » Ces pays appartenant alors aux Arabes, et le sang, aussi bien que l'enseignement arabes, y ayant pénétré depuis longtemps, il me semble évident qu'on ne peut pas plus contester l'origine dès l'origine des travaux qui sont sortis de leurs écoles, qu'on ne pourrait contester celle des travaux des savants français, sous le prétexte qu'ils proviennent d'individus appartenant aux races diverses : Normands, Celtes, Aquitains, etc., dont la réunion a fini par former la France.

L'éminent écrivain semble un peu chagrin quelquefois de la façon dont il malmène les Arabes. La lutte entre l'homme ancien et l'homme moderne aboutit à cette conclusion tout à fait imprévue, qu'il regrette de n'être pas un disciple du prophète. « Je ne suis jamais entré dans une mosquée, dit M. Renan, sans une vive émotion ; le dirai-je, sans un certain regret de n'être pas musulman. »



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