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Les Arabes des villes. Mœurs et coutumes

l'histoire



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Les Arabes des villes. Mœurs et coutumes

1. – La société arabe



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La stabilité des institutions des Orientaux, leur résignation devant les événements accomplis ou qu'ils ne peuvent empêcher de s'accomplir et la fraternité qui existe entre toutes les classes, forment un contraste frappant avec les révolutions perpé­tuelles, l'existence agitée et fiévreuse, les rivalités sociales des peuples européens.

Une politesse et une douceur extrêmes, une grande tolérance des hommes et des choses, le calme et la dignité dans toutes les conditions et toutes les circonstances, une modération très grande dans les besoins sont les caractéristiques dominantes des Orientaux. Leur acceptation tranquille de la vie leur a donné une sérénité d'esprit très voisine du bonheur alors que nos aspirations et nos besoins factices nous ont conduit à un état d'inquiétude permanente qui en semble fort éloigné.

Il est facile de critiquer cette résignation philosophique et d'en montrer les incon­vénients ; on ne peut méconnaitre cependant que les penseurs qui ont étudié le mieux l'envers des choses n'ont pas réussi encore à découvrir de conception plus sage de la vie. Une constitution mentale qui donne à l'homme le bonheur n'est pas à dédaigner alors même qu'elle ne serait pas toujours favorable aux progrès de la civilisation.

L'étude de l'état actuel de la société arabe combinée avec celle des anciennes chroniques permet facilement de se représenter ce qu'était cette société à l'époque où florissait la civilisation des disciples du prophète.

Notre description des Arabes dans les diverses contrées où ils ont régné nous a montré que les qualités d'urbanité et de tolérance mentionnées à l'instant étaient également générales à l'époque de leur civilisation. Nous avons décrit leurs habitudes chevaleresques et montré que l'Europe barbare les leur a empruntées.

La politesse et la dignité, qui ne se rencontrent guère en Europe que dans les classes les plus élevées, sont absolument générales en Orient. Tous les voyageurs sont d'accord sur ce point. Parlant des visites que se font les Arabes appartenant aux clas­ses les plus pauvres, le vicomte de Vogué s'exprime ainsi : « Je ne peux m'empêcher d'admirer la décence et l'urbanité de ces réunions. Ces gens-là ne sont après tout que des villageois de petite condition. Quelle différence dans la gravité de leurs paroles et la noblesse de leur attitude, avec la turbulence et le sans gêne de nos populations ! »

J'ai eu bien des fois occasion moi-même d'être en contact avec des Arabes sur des points les plus différents du monde musulman, et j'ai toujours été frappé de la dignité et de l'aisance avec lesquelles j'étais reçu par des individus dont la position sociale ne dépassait pas cependant celle de nos paysans. Que le maitre de la maison où vous pénétrez soit pauvre ou riche, l'accueil est le même. Il s'avance vers vous en vous saluant à l'orientale, c'est-à-dire la main sur le cœur et le front, vous invite à vous asseoir sur le divan, à la place d'honneur, en face de la porte, vous offre une cigarette ou un narghilé, fait servir du café, et attend, avec politesse, que vous lui expliquiez l'objet de votre visite.

2. - Les villes arabes. -
Habitations, bazars, etc.

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Villes arabes - Plusieurs villes arabes actuelles, telles que Damas et certains quar­tiers du Caire, donnent encore une idée assez exacte de ce qu'étaient les anciennes cités arabes. J'ai déjà décrit plusieurs fois la physionomie de leurs rues tortueuses et assez mal tenues, et il serait superflu d'y revenir maintenant. Toutes les villes de l'Orient, à l'exception de celles où l'influence européenne se fait aujourd'hui sentir, comme sur les côtes de Syrie, par exemple, se ressemblent beaucoup, et le voyageur qui y serait subitement transporté par une baguette magique, devinerait immédiate­ment sur quelle partie du globe il se trouve.

Dans toutes les villes arabes, la vie cesse entièrement dans les rues au coucher du soleil ; et comme l'éclairage artificiel est inconnu, on ne peut se hasarder dehors sans falot.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 272

Planche couleurs # 7

PLAFOND D'UNE MAISON MODERNE À DAMAS.
Dessiné d'après nature par Bourgoin.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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L'animation nocturne des villes européennes, leurs boutiques brillamment éclai­rées, leurs cafés, etc., sont inconnus des Orientaux. La vie de famille a du reste tant de charme pour eux, qu'ils n'ont besoin d'aucune autre distraction pour occuper leurs soirées. Lorsqu'ils viennent en Europe, le mouvement de nos grandes cités le soir les frappe toujours d'étonnement, et ils en concluent que les hommes de l'Occident doi­vent bien s'ennuyer chez eux pour éprouver le besoin d'être toujours dehors, ou d'aller s'enfermer dans des cercles ou des cafés. « C'est là, sans doute, une des tristes conséquences de la monogamie, » me disait gravement un négociant de Bagdad, qui avait visité plusieurs capitales européennes.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 273

la figure # 170

Une ancienne rue du Caire ; d'après une photographie.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Les rues de l'Orient ne sont l'objet d'aucun entretien, l'enlèvement des immondices est abandonné aux chiens, qui s'en acquittent du reste parfaitement. Ces précieux animaux, qu'on rencontre par milliers dans chaque ville, n'appartiennent à personne. Ils vivent par tribus. Chacune est confinée dans un quartier, et ses membres ne pour­raient en sortir sans être immédiatement dévorés. Posséder un chien à soi en Orient est, pour cette raison, presque impossible. Si on voulait se promener avec lui dans les rues, on serait certain de le voir bientôt déchiré par les chiens des divers quartiers qu'on serait obligé de traverser.

Les Orientaux traitent les chiens, de même, d'ailleurs, que tous les animaux, avec une grande douceur, et jamais on ne voit un Arabe maltraiter un animal, ainsi que cela est généralement la règle chez nos charretiers et cochers européens. Une société protectrice des animaux serait tout à fait inutile chez eux. L'Orient est le véritable paradis des bêtes. Chiens, chats, oiseaux, etc., y sont universellement respectés. Ces derniers volent librement dans les mosquées et fond leurs nids sur les corniches. Les ibis se promènent dans les champs sans crainte d'être tourmentés. Jamais un enfant n'attaque un nid d'oiseaux. On m'a assuré au Caire, et le fait est du reste consigné dans plusieurs auteurs, qu'il existe dans cette ville une mosquée où les chats viennent à certaines heures chercher la nourriture qu'un legs charitable leur assure depuis longtemps.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 274

la figure # 171

Une rue de Tanger (Maroc) ; d'après une photographie instantanée.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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C'est par tous ces petits détails qu'on peut juger des mœurs du peuple. Ils montrent combien, par la douceur et l'urbanité l'Européen aurait à apprendre des Orientaux.

Les voitures sont à peu près inconnues en Orient ; il existe d'ailleurs peu de rues où elles pourraient circuler. Les seuls moyens de locomotion en usage sont le cheval, le chameau et l'ane. Ce dernier est surtout employé en Égypte. Au Caire, c'est la monture employée par tout le monde pour les courses journalières. Il est beaucoup plus élégant que ses collègues un peu décriés d'Europe, et les personnages les plus aristocratiques ne dédaignent pas de s'en servir. Les femmes le montent également, mais à califourchon, comme les hommes.

Chaque ane est suivi par son conducteur qui le stimule consciencieusement bien plus par ses cris que par le baton, et c'est à qui trottera plus vite de l'anier ou de sa bête. L'ane n'écoute d'ailleurs que son conducteur, et professe le plus large dédain pour tous les stimulants que peuvent lui prodiguer ses cavaliers provisoires.

Habitations - Les Arabes des villes tendent aujourd'hui à transformer de plus en plus leurs habitations sous l'influence européenne. Les anciens palais arabes devien­nent extrêmement rares.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 275

la figure # 172

Monture du Caire ; d'après une photographie de Sebah.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Les plus belles maisons construites dans le style arabe se rencontrent à Damas. Leur extérieur n'a rien généralement qui attire les regards. La vie des Orientaux est toute intérieure, et ils sacrifient peu aux apparences. On pénètre généralement dans ces demeures par un corridor étroit et voûté, sous lequel se tiennent les domestiques. À son extrémité, on rencontre une grande cour, ou plutôt un véritable jardin pavé de marbre, au milieu duquel est un bassin entouré de saules pleureurs, d'orangers, de citronniers, de grenadiers et de plantes odorantes, qui remplissent l'habitation du parfum de leurs fleurs et de leurs fruits. Tout autour de cette cour sont disposés les divers corps de batiments qui servent d'habitation. Leur intérieur est d'une richesse merveilleuse. Le dessin que nous donnons dans un autre chapitre, d'après nos photo­graphies, de l'intérieur du plus beau palais de Damas, en est la preuve. Aucune description ne pourrait donner une idée fidèle de ces plafonds à poutrelles saillantes et à caisson évidés, où de véritables artistes ont sculpté, dans le cèdre et le sycomore, les plus étonnantes arabesques ; de ces vitraux aux dessins étranges, de ces murs recou­verts d'inscriptions, de ces moulures en forme de stalactites reliant le plafond aux parois des murs.

La pièce principale, haute comme une maison à deux étages, est généralement divisée en trois parties disposées autour d'une surface dallée, au milieu de laquelle est un bassin octogone de marbre sculpté contenant un jet d'eau.

L'ameublement se compose principalement d'un grand divan, revêtu de soie brodée d'argent et or, faisant le tour de la pièce. Les autres meubles sont des guéri­dons et des tabourets à incrustations de nacre. Des niches, pratiquées dans l'épaisseur des murs et revêtues de marbre, de marqueteries, de carreaux, de faïences persanes, supportent des porcelaines de Chine, de l'argenterie, des tasses à café sur de petites coupes en filigrane, des narghilés, des cassolettes à parfums, etc.

C'est dans ces retraites charmantes  pleines de fraicheur et de parfums, où les vitraux ne laissent tomber qu'un demi-jour et où le silence n'est troublé que par le murmure de l'eau dans les vasques de marbre qu'aime à se retirer l'Arabe. Entouré de ses femmes, il peut suivre dans la fumée de son narghilé les fantaisies de son imagi­nation et se croire transporté dans le paradis de Mahomet.

Les maisons arabes de l'Algérie et du Maroc sont construites sur un type un peu différent de celles de Damas. L'espace étant plus restreint, il a fallu remplacer le plus souvent les jardins par une cour ; et les divers corps d'habitation se sont trouvés natu­rellement réunis en un seul circonscrivant cette cour.

Vues du dehors, ces maisons ont l'aspect de vastes cubes de pierres blanches surmontés d'une terrasse. Les pièces prennent leur jour principal sur une cour entou­rée d'arcades supportant plusieurs étages de galeries sur lesquelles s'ouvrent les chambres. Celles-ci sont pavées de briques émaillées ; leurs murs sont recouverts de faïences également émaillées, et les plafonds sont en bois sculpté. L'ameublement se compose de nattes et de tapis. Un divan place à l'extrémité de la chambre sert de siège le jour et de lit la nuit. Des coffres en bois peint contiennent les habits et les bijoux. Pour abriter la cour des ardeurs du soleil, on tend au-dessus un velum retenu par des cordes fixées à la terrasse par des crochets. De telles constructions sont excellentes pour les pays chauds. Dans les anciennes villes arabes de l'Espagne, Séville notam­ment, beaucoup de maisons se construisent encore sur ce type.

L'architecture du peuple est tellement l'expression fidèle de ses besoins, que le même peuple, en changeant de pays, doit adapter aussitôt son architecture à son nouveau milieu. C'est pour cette raison que les maisons arabes du Caire diffèrent notablement de celles que nous venons de décrire. La place étant toujours limitée dans les grandes villes, il a fallu gagner par la hauteur des maisons ce qu'on ne pouvait obtenir par leur surface. Elles ont donc généralement trois étages, et les pièces ne peuvent avoir par conséquent la hauteur de celles des maisons de Damas. La nécessité de réduire la surface de la cour rendant l'aération intérieure insuffisante, il a fallu pratiquer des ouvertures sur la rue ; mais comme, en raison des mœurs arabes, ces ouvertures doivent être closes pour l'étranger, on a bientôt imaginé les grillages à jour en bois ouvragé comme de la dentelle, auxquels on a donné le nom de moucharabiehs.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 277

la figure # 173

Porte d'une ancienne maison du Caire ; d'après une photographie de l'auteur.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 278

la figure # 174

Plafond d'une ancienne maison arabe du Caire ; d'après une photographie de l'auteur.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Il n'y a plus au Caire qu'un fort petit nombre d'anciennes maisons construites dans le goût de celles des khalifes, et elles tombent en ruine : je citerai notamment celle du chef général des mosquées. Aujourd'hui les gens riches trouvent beaucoup plus élé­gant de construire des maisons à l'européenne.

Contrairement à ce qui s'observe dans la plupart des villes orientales, l'entrée des anciennes maisons du Caire était souvent richement ornée.

Bazars. - Une des parties les plus intéressantes des villes d'Orient est celle où se trouvent les bazars. Chaque ville importante contient toujours une série de batiments formant tout un quartier, exclusivement réservé au commerce, et dont l'ensemble constitue ce qu'on appelle le bazar. Il comprend un nombre plus ou moins grand de galeries recouvertes de planches ou de nattes, où se trouvent les boutiques groupées par espèces de marchandises. Un qualificatif tiré du nom des objets vendus dans chaque galerie, et ajoute au mot générique bazar, sert à les désigner ; c'est ainsi qu'il y a le bazar des armes, celui des costumes, celui des épices, etc. Sauf dans les très gran­des villes, il n'y a d'autre marché, même pour les objets de consommation journalière, qu'au bazar.

Toutes ces boutiques n'ont aucune analogie avec nos magasins européens. L'art de l'étalage, notamment, y est totalement inconnu. Chacune d'elles est un simple renfon­cement obscur de 2 à 3 mètres de largeur sur un peu moins de profondeur, dans l'intérieur duquel les marchandises se trouvent disposées, et devant lequel le mar­chand est assis. Malgré leur aspect misérable, ces réduits contiennent parfois de véritables richesses.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 279

la figure # 175

Vitrail du harem du palais d'Azhad pacha, à Damas ; d'après une photographie de l'auteur.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Le bazar est, en Orient, le rendez-vous favori des promeneurs. C'est souvent le seul endroit de la ville où on puisse trouver un peu de fraicheur Les femmes viennent y passer de longues heures.

Toutes les boutiques des bazars orientaux, même celles des chrétiens, sont tenues sans exception par des hommes.

Assis gravement devant son échoppe, le marchand attend patiemment l'acheteur et n'importune jamais le passant, à moins qu'il ne soit juif. Dans ce cas, on a toutes les peines du monde à se débarrasser de ses basses obsessions.

Quelle que soit du reste la nationalité du marchand auquel on s'adresse, son habi­tude invariable est de demander quatre ou cinq fois la valeur des objets qu'on lui désigne, et une habitude non moins invariable est de ne les céder à un prix acceptable qu'après de longues discussions. Si l'objet est un peu précieux, il faut revenir plusieurs jours de suite avant de réussir à terminer la négociation. Ce n'est qu'après une semaine de pourparlers, que j'ai pu avoir à Damas, à un prix presque raisonnable, le narghilé de cuivre incrusté d'argent dont je donne le dessin dans cet ouvrage. Il semblerait que l'Oriental ne se dessaisit qu'avec peine de ce qu'il possède, et il faut une patience égale à la sienne pour traiter une affaire avec lui.

3. - Fêtes et cérémonies : naissance, circoncision, mariages, enterrements

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Naissance et circoncision La naissance des enfants donne lieu à quelques réjouissances chez les Arabes, mais elles ont un caractère tout à fait privé. La circoncision, qu'on pratique sur tous les enfants males, donne lieu au contraire à des réjouissances publiques. Cette opération se fait habituellement vers l'age de six à sept ans. L'enfant qui doit la subir est promené en grande pompe dans la ville, vêtu de riches vêtements, la figure couverte d'un voile, monté sur un cheval magnifiquement harnaché, et escorté d'autres enfants superbement vêtus. Le barbier chargé de la circoncision se place avec les musiciens, en tête du cortège. La marche est fermée par des femmes qui poussent des cris particuliers en signe d'allégresse. On se rend à la mosquée, richement illuminée pour la circonstance, et de là chez les parents, où est servi un festin, souvent suivi d'une représentation théatrale. C'est généralement après le repas que le barbier procède à la circoncision, pendant que les cymbales retentis­sent pour étouffer les cris du patient. Les nombreux invités passent la nuit à boire des sorbets, du café, et à fumer des narghilés.

Mariage - Les cérémonies du mariage sont également accompagnées de grandes réjouissances. Devant exposer suffisamment dans un autre chapitre ce qui concerne la condition des femmes en Orient, j'indiquerai simplement maintenant ce qui est relatif au cérémonial extérieur.

Lorsqu'un jeune homme veut renoncer à la vie de garçon, il charge une femme agée d'aller examiner dans les familles les filles à marier. D'après la description qui lui est faite de leurs qualités physiques et morales, il fait son choix et charge l'inter­médiaire de la demande officielle. La future est consultée pour la forme, mais ne devant voir le candidat qu'après le mariage, elle n'a aucune raison pour le refuser. Le futur entre alors en pourparlers avec le père de la jeune fille pour le règlement de la dot qu'il doit verser. Contrairement à ce qui se passe en Europe, c'est l'homme qui dote la femme et non pas la femme qui dote l'homme. L'affaire terminée le futur revient bientôt avec deux amis dans la maison du beau-père, où ce dernier doit l'attendre entouré d'amis, de témoins et d'un écrivain. On prononce la formule consa­crée ; l'écrivain dresse une sorte de procès-verbal et, au point de vue légal, le mariage est terminé. C'est comme on le voit, un acte de convention privée n'exigeant ni sanc­tion religieuse, ni formalités civiles. La fiancée n'est remise à son mari qu'au bout de quelques jours, à la suite de fêtes qu'on rend aussi brillantes que possible. La jeune fille voilée est d'abord conduite processionnellement au bain, au milieu d'un grand concours d'amis et de musiciens ; puis on retourne à la maison, où a lieu un festin. Ce n'est que le jour suivant qu'elle est envoyée, complètement voilée, et entourée d'un nombreux cortège précédé de musiciens, baladins, lutteurs, bouffons, à la maison de son mari, soigneusement ornée et illuminée pour la recevoir. Lorsque tout le monde est parti, le mari peut enlever à la femme son voile, et la contempler pour la première fois.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 281

la figure # 176

Un cortège nuptial au Caire ; d'après une photographie de Sébah.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Généralement ces cérémonies n'ont lieu que pour les femmes légitimes. Pour celles qui ne le sont pas, l'opération est plus simple; on va dans un des ces nombreux bazars aux esclaves, qui existent encore en Orient, et notamment au Caire, malgré les dénégations formulées dans les livres, et, pour une somme variable, suivant la qualité du sujet, mais qui atteint parfois 5 à 6 000 francs pour des Circassiennes ou Georgien­nes d'une beauté exceptionnelle, on se procure l'épouse recherchée. Ces esclaves font du reste partie de la famille ; leurs enfants ont les mêmes droits que ceux des femmes légitimes, et leur existence est tellement douce qu'elles ne songent nullement à s'y soustraire, ce qui leur serait extrêmement facile, puisque dans les contrées qui ont dû subir les exigences européennes telles, qu'au Caire, elles n'ont qu'à exprimer devant les autorités le désir d'être rendues à la liberté.

Enterrements - Les enterrements musulmans se font presque avec autant de pompe que les mariages. Le mort, enveloppé d'un drap et placé sur une civière recouverte de chales et de cachemires, est porté par cinq ou six amis du défunt relayés de distance en distance par d'autres. Le cortège est précédé d'aveugles et de mendiants psalmodiant des versets du Coran et suivi par des parents, des connaissances et des pleureuses. Le corps est porté d'abord à la mosquée, puis au cimetière, où il est enterré la face tournée du côté de la Mecque. La pierre qui recouvre la tombe est entourée, pour les grands personnages, d'une construction cubique surmontée d'une coupole. Les jours de fête, les tombeaux sont ornés de fleurs, et les femmes y passent des journées entières à prier.

4. - Coutumes arabes diverses. -
Bains, cafés, usage du tabac et du haschisch

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Bains - Les établissements de bains des Orientaux diffèrent entièrement au point de vue de l'hygiène et du confort de ceux connus en Occident. Ils sont fort supérieurs à ces derniers. Ce sont en outre des lieux de réunion et de conversation dont le rôle est aussi important que chez les anciens romains.

Tous les bains orientaux sont construits d'après le même principe, et ne diffèrent que par leur luxe plus ou moins grand. Dans une première pièce, servant de vestiaire et de salle de repos, et où le baigneur est déshabillé se trouvent un grand divan, et, au centre, une fontaine de marbre. Recouvert d'un drap et les pieds chaussés de patins de bois, le baigneur est conduit dans une salle chauffée à 50° environ, où il est étendu sur une dalle de marbre et massé énergiquement. Il passe ensuite dans une troisième salle où après un nouveau massage et un savonnage vigoureux, il est soumis à des ablu­tions d'eau tiède et froide. Ramené ensuite dans la première salle, il y reste pendant quelque temps couché sur le divan, enveloppé de couvertures, en fumant son narghilé et prenant du café. Rien ne réconforte mieux, à la suite d'une journée fatigante, qu'un pareil bain, et il serait à désirer que toutes les villes importantes de l'Europe en possédassent de semblables.

Cafés, Usage du tabac et du haschisch - Les cafés sont également très fréquen­tés ; mais le luxe des établissements analogues de l'Europe y est complètement inconnu. Des nattes, des tasses et des narghilés forment le plus souvent tout leur ameublement ; mais le café qu'on y fabrique est tellement parfait, qu'un des plus grands désagréments de l'Européen qui revient d'Orient est de s'habituer de nouveau à la détestable macération qu'on sert sous le même nom dans son pays.

L'usage du café chez les Orientaux est, comme on le sait, relativement moderne et était inconnu à l'époque où florissait la civilisation des Arabes.

En même temps qu'on boit le café, l'usage est de fumer ce délicieux tabac blond aromatique, dont on ne connait que de mauvaises contrefaçons en Occident. On l'introduit généralement dans des narghilés à longs tuyaux dont il existe plusieurs modèles. Tous sont construits de façon à ce que la fumée passe dans un récipient plein d'eau, avant d'arriver à la bouche du fumeur ce qui a pour résultat de la dé­pouiller de ses principes toxiques. Pour charger le narghilé, le tabac est mouillé, puis exprimé à travers un linge, et placé dans le récipient supérieur. On pose au-dessus un charbon allumé, et il n'y a plus qu'à aspirer fortement à l'autre extrémité du tuyau pour entretenir la combustion. En dehors du narghilé, la cigarette est très répandue, mais le cigare est inconnu 

Parmi les grandes distractions de tous les peuples orientaux, une des plus géné­rales depuis des siècles est l'emploi de la substance enivrante nommée haschisch. Avec elle, le plus misérable fellah peut se rendre si heureux pendant quelque temps, qu'il ne changerait pas son sort contre celui du plus puissant monarque de la terre. Grace à cette plante précieuse, les Orientaux ont résolu le difficile problème de mettre le bonheur en flacon, et d'avoir toujours ce flacon sous la main. Cette plante a joué et joue encore un rôle si considérable dans la vie des Orientaux, qu'il ne sera pas sans intérêt d'entrer dans quelques détails sur ses propriétés.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 283

la figure # 177

Narghilé arabe en cuivre incrusté d'argent ; d'après une photographie de l'auteur.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Tout le monde sait que le haschisch se fabrique avec la plante connue sous le nom de Cannabis indica. Il est vendu au Caire et à Constantinople, sous des formes variées parmi lesquelles celles de confitures et confiseries diverses : pastilles, bonbons, etc., sont les plus répandues. Il est toujours mélangé de substances étrangères telles que la noix vomique, le gingembre, la cannelle, le girofle, et même, dit-on, les cantharides, qui modifient beaucoup ses propriétés.

Le haschisch parait avoir été connu de toute antiquité. On suppose que le Népenthès d'Homère était une préparation de Cannabis indica. On croit aussi qu'il aurait été la base de la substance dont parle Diodore de Sicile, et qu'employaient les femmes de Dioscopolis, en Égypte, pour dissiper la colère et le chagrin de leurs maris. Ce qui est certain, c'est qu'il était déjà très employé en Syrie au temps des croisés.

Les effets que le haschisch produit dépendent beaucoup de l'état de l'expérimen­tateur au moment de l'expérience. Je crois qu'on pourrait résumer son action psy­chologique, en disant qu'il exagère prodigieusement les idées qui traversent l'esprit, et leur donne une intensité qui les fait confondre avec la réalité. Le sujet placé dans une disposition d'esprit agréable est bientôt plongé dans un monde de visions délicieuses, ayant trait généralement à ses préoccupations habituelles. C'est ainsi que les Orien­taux, qui prennent cette substance au fond de leur harem, les yeux charmés par les danses de leurs femmes, et les oreilles par leurs chants, se croient bientôt transportés au milieu des houris du merveilleux paradis de Mahomet 

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 284

la figure # 178

Narghilé persan-arabe ; d'après une photographie de l'auteur.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Les effets du haschisch ont été étudiés également au point de vue scientifique mais d'une façon bien incomplète encore, je crois qu'ils fourniront une mine précieuse d'observations aux psychologistes qui voudront les analyser sérieusement. Dans un travail publié récemment sur les effets psychologiques de cette substance, nous avons mis en évidence ce fait imprévu qu'elle produisait à hautes doses un dédoublement de la personnalité analogue à ce qu'on observe souvent dans le somnambulisme provo­qué. La vie inconsciente de l'esprit inaperçue à l'état normal, bien qu'elle soit la base réelle de toute notre conduite, se substitue à certains moments à l'existence consciente ordinaire. L'individu perd alors toute notion de son individualité et parle de lui à la troisième personne. Son langage, ses allures, son caractère changent entièrement et le changement est caractérisé surtout parce qu'il se montre tel qu'il est réellement. On peut si facilement alors lui faire révéler le fond de ses pensées et ses plus intimes secrets que le haschisch manié par une main habile pourrait peut-être servir dans des cas graves à obtenir les aveux de certains criminels et éviter ainsi des erreurs judiciaires.

5. - Jeux et spectacles,
danseurs, conteurs, etc.

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Les jeux des Arabes diffèrent peu de ceux que nous connaissons en Europe. Le jeu d'échecs, le trictrac, le jeu de dames leur sont familiers. La lutte, le tir à la cible, le jeu de paume, l'escrime du sabre et du baton sont aussi très, répandus. Les nomades s'adonnent surtout au jeu du javelot, sorte de tournoi à cheval et à diverses fantaisies équestres.

Les spectacles forment également un des passe-temps favoris des Orientaux ; mais les acteurs sont le plus souvent des marionnettes. Quelquefois cependant les per­sonnages sont réels ; mais, autant du moins que j'ai pu en juger par les repré­sentations auxquelles j'ai eu l'occasion d'assister, le talent des acteurs est très médiocre. Ils débitent gravement leur rôle comme s'ils le lisaient, et leurs gestes ne correspondent pas du tout aux passions qu'ils sont censés exprimer.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 285

la figure # 179

Boutique d'armurier arabe, en Syrie ; d'après une photographie.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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La musique et les chants sont très goûtés des Orientaux, et il est rare d'entrer dans un café sans entendre aussitôt les notes aiguës de la flûte et du violon, soutenues par le tambourin. Ce sont des mélodies trainantes un peu tristes, qui ne plaisent pas aux Européens.

La danse est considérée en Orient comme un spectacle qui ne peut avoir pour acteurs que des individus payés pour s'y livrer, et la proposition de s'y adonner en public, comme nous le faisons dans nos salons, ferait rougir d'indignation les Arabes. Le fait qu'un homme doué d'une dose de bon sens à peu près normale puisse se donner en spectacle en sautant en cadence sur ses jambes, aux sons d'un instrument, leur semble tout à fait inexplicable.

Les danses sont exécutées en Orient par des femmes, nommées almées. Toutes celles que j'ai vues dans diverses villes de l'Asie et de l'Afrique, dans la haute Égypte notamment, m'ont paru au-dessous de leur réputation. Ces danses consistent surtout en mouvements de trépidation du bassin, le reste du corps restant immobile. Une des plus pittoresques est celle du sabre, à laquelle j'ai assisté, à Jéricho, la nuit, devant un feu de bivouac. Des fellahines, munies de grands sabres très effilés, exécutaient de rapides moulinets autour de ma tête, en venant pousser dans mon oreille d'une voix stridente un cri particulier, pendant que les autres danseuses entonnaient des chants où la valeur, la renommée et surtout la générosité supposée de leur noble visiteur étaient vantées : « Il avait vaincu tous ses ennemis dans les combats, son bras était invincible, le son de sa voix faisait palir de terreur les plus terribles guerriers, etc. » Le grand talent consiste à raser de très près avec le sabre la tête du noble visiteur, sans trop l'entamer. Bien que le cheik de mon escorte m'eut assuré que cet accident arrivait assez rarement, je fis, infructueusement du reste, les plus consciencieux efforts pour persuader à ces filles du désert d'essayer, de préférence, leur habileté sur la tête de leurs compatriotes.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 286

la figure # 180

Vendeurs ambulants, au Caire ; d'après une photographie de Sebah.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Quant aux almées de la haute Égypte, elles sont bien tombées de leur antique splendeur. Le costume qu'elles ont en public consiste en une longue tunique, qui leur ôte toute grace ; mais dans l'intimité elles s'en débarrassent sans difficulté et dansent volontiers dans le costume simplifié que la légende attribue à Ève.

Parmi les divertissements favoris des Arabes, un de ceux qu'ils préfèrent est d'écouter les récits merveilleux que leur font des conteurs de profession. On rencontre ces derniers dans tout l'Orient, et leur succès est partout considérable. Quelquefois ils improvisent, mais le plus souvent ils se bornent à réciter une poésie ou un conte des Mille et une Nuits. Je me souviens encore de l'étonnement avec lequel je contemplai un soir, dans un quartier populaire de Jaffa, un groupe d'Arabes composé de portefaix, bateliers, domestiques, etc., écoutant avec la plus religieuse attention un conteur qui leur lisait, à la lueur d'une lanterne, un poème d'Antar. Je doute fort qu'il eût obtenu le même succès en lisant devant un groupe de paysans français une poésie de Lamartine ou de Chateaubriand.

C'est en voyant l'influence de ces conteurs sur les foules qu'on peut comprendre un des côtés intéressants du caractère des Arabes : leur vivacité très grande sous la gravité du maintien, et la puissance de leur imagination représentative. Ce qu'ils entendent, ils le voient, et sont presque aussi impressionnés que s'ils le voyaient réellement.

Il faut avoir vu ces enfants du désert, s'écrie un voyageur, quand ils écoutent leurs contes favoris ; comme ils s'agitent, comme ils se calment, comme leur oeil étincelle sur leur visage basané ! Comme la colère succède à des sentiments tendres, et des rires bruyants à leurs pleurs ! Comme ils perdent et recouvrent tout à tour la respiration, comme ils partagent toutes les émotions du héros, et s'associent à ses joies et à ses peines ! C'est un véritable drame, mais dont les spectateurs sont aussi les acteurs. Les poètes de l'Europe, avec tous les moyens dont ils disposent, le prestige des beaux vers, le charme de la musique, la magie des décors, ne produisent pas sur les ames engourdies des Occidentaux la centième partie des impressions que produit ce conteur à demi sauvage. Le héros de l'histoire est-il menacé d'un danger imminent, les auditeurs frémissent et s'écrient : « Non, non, Dieu l'en préserve ! » Est-il au sein de la mêlée, combattant avec son glaive les troupes de son ennemi, ils saisissent leurs sabres, comme s'ils voulaient voler à son secours. Est-il enveloppé dans les pièges de la trahison, leur front se contracte péniblement, et ils s'écrient : « Malédiction aux traitres ! » A-t-il succombé sous le nombre de ses adversaires, un profond soupir s'échappe de leur poitrine, suivi des bénédictions ordinaires pour les morts : « Que Dieu le reçoive dans sa miséricorde, qu'il repose en paix ! » Que si, au contraire, il revient triomphant et vainqueur, l'air retentit de ces bruyantes acclamations : « Gloire au Dieu des armées ! » Les descriptions des beautés de la nature, et surtout celles du printemps, sont accueillies avec des cris répétés Taïb ! Taïb ! Bien ! Bien ! Mais rien ne peut égaler le plaisir qui brille dans leurs regards, lorsque le conteur fait avec développement et con amore le portrait d'une belle femme. Ils l'écoutent en silence et la respiration suspendue, et quand il termine sa description en disant : « Gloire à Dieu qui a créé la femme ! » ils répètent tous en chœur, avec un accent pénétré, cette expression d'admiration et de reconnaissance : « Gloire à Dieu qui a créé la femme ! »

6. - L'esclavage en Orient

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Le mot d'esclavage évoque immédiatement dans l'esprit d'un Européen, lecteur des romans américains d'il y a trente ans, l'image de malheureux chargés de chaines, menés à coups de fouet, à peine nourris et n'ayant pour demeure qu'un sombre cachot.

Je n'ai pas à rechercher ici si ce tableau de l'esclavage, tel qu'il existait chez les Anglais de l'Amérique il y a quelques années, est bien exact, et s'il est vraisemblable qu'un propriétaire d'esclaves ait jamais songé à maltraiter et par conséquent à détériorer une marchandise aussi coûteuse que l'était alors un nègre. Ce qui est au moins certain, c'est que l'esclavage chez les mahométans est fort différent de ce qu'il était chez les chrétiens. La situation des esclaves en Orient est bien préférable en effet à celle des domestiques en Europe. Ils font partie de la famille, arrivent parfois, com­me nous l'avons vu précédemment, à épouser une des filles de leur maitre et peuvent s'élever aux plus hauts emplois. Aucune idée humiliante ne s'attache en Orient à l'esclavage, et on a dit avec raison que l'esclave y est plus près de son maitre qu'un domestique chez nous.

« L'esclavage, dit M. About, est si peu méprisé en pays musulman, que les sultans de Constantinople, chefs sacrés de l'islam, naissent tous de femmes esclaves, et n'en sont pas moins fiers, il s'en faut. Les mameluks, qui ont longtemps régné en Égypte, continuaient leurs familles en achetant les enfants du Caucase, qu'ils adoptaient à leur majorité. Souvent encore un grand seigneur égyptien, instruit et développe un enfant esclave qu'il marie ensuite à sa fille et substitue à tous ses droits ; et on rencontre au Caire des ministres, des généraux, des magistrats de l'ordre le plus élevé qui ont valu mille à quinze cents francs dans leur première jeunesse. »

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 288

la figure # 181

Écrivain public à Jérusalem ; d'après une photographie.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Tous les voyageurs, qui ont eu occasion d'étudier sérieusement l'esclavage en Orient, ont dû reconnaitre à quel point étaient peu fondées les réclamations aussi bruyantes que peu désintéressées des Européens contre cette institution. La meilleure preuve qu'on puisse alléguer en sa faveur, c'est qu'en Égypte les esclaves qui veulent leur liberté peuvent l'obtenir par une simple déclaration faite devant un juge, et cependant n'usent presque jamais de ce droit. « Nous ne pouvons dissimuler, ajoute M. Ebers après avoir fait la même remarque, que le sort de l'esclave chez les peuples attachés à l'islam doit être qualifié de relativement agréable. »

Je pourrais multiplier facilement des citations identiques ; je me bornerai à men­tionner l'impression produite par l'esclavage en Orient sur les auteurs qui ont eu occasion de l'observer récemment en Égypte.

« L'esclavage en Égypte est une chose si douce, si naturelle, si utile et si féconde, dit M. Charmes, que sa disparition complète y serait un vrai malheur. Le jour où les peuplades sauvages de l'Afrique centrale ne pourront plus vendre les captifs qu'elles font à la guerre, ne voulant pas les nourrir gratuitement, il est clair qu'elles s'en nourriront : elles les mangeront, or, si l'esclavage est une plaie hideuse, qui fait honte à l'humanité, elle parait bien préférable à l'anthropophagie, du moins lorsqu'on se place au point de vue des mangés ; car il est certainement des philanthropes anglais qui trouvent plus conforme à la dignité humaine que les noirs soient avalés par leurs semblables que soumis à un joug étranger. »

« Aujourd'hui, la liberté accordée aux esclaves, écrit M. de Vaujany, directeur de l'école des langues du Caire, leur permet de vivre à leur guise sans être inquiétés ; cependant très peu profitent de ce privilège ; ils préfèrent leur état de servitude exempte de toute oppression, à l'insécurité d'une situation qui souvent ne serait pour eux qu'une source de peines et d'embarras.

Loin d'être malheureuse, la condition des esclaves en Égypte les élève presque toujours au-dessus de celle d'où ils ont été tirés. Beaucoup d'entre eux, les blancs principalement, sont arrivés aux postes les plus éminents. Un enfant né d'une esclave est l'égal d'un enfant légitime, et s'il est l'ainé de la famille, il a droit à toutes les prérogatives attachées à son rang. Cette fameuse milice des mamelouks, qui a si longtemps gouverné l'Égypte, ne se recrutait que parmi les esclaves. Ali bey, Ibrahim bey, le farouche Mourad bey, défait à la bataille des Pyramides, avaient été achetés dans les bazars. Aujourd'hui encore, il n'est pas rare de rencontrer un officier supérieur ou un fonctionnaire de haut rang, qui a été esclave dans sa jeunesse, on en voit même, devenus fils adoptifs, ayant reçu une éducation soignée, épouser la fille de leur maitre. »

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 289

la figure # 182

Marchands d'eau, au Caire ; d'après une photographie.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Ce n'est pas en Égypte seulement que les esclaves sont traités avec la plus grande douceur ; il en est de même dans tous les pays soumis à la loi de l'islam. Dans la relation de son voyage au Nedjed, une Anglaise, lady Blunt, relatant une de ses conversations avec un Arabe, écrit les lignes suivantes :

« Une chose qu'il ne pouvait pas comprendre de la part du gouvernement britannique, c'est qu'il eût quelque intérêt à entraver partout le commerce d'esclaves. Nous lui dimes que c'était dans l'intérêt de l'humanité. « Mais, répondit-il, ce commerce n'a rien de commun avec la cruauté. » Il insista : « Qui a jamais vu maltraiter un nègre ? » Nous n'aurions pu dire, en effet, que nous l'avions vu faire quelque part en Arabie, et, de fait, ajoute l'auteur anglais, il est notoire que parmi les Arabes, les esclaves sont des enfants gatés plutôt que des serviteurs. »

Rien sans doute n'est plus condamnable en principe que l'esclavage, mais les principes artificiels créés par les hommes ne jouent qu'un rôle bien faible dans la marche des choses. En ne se plaçant même qu'au point de vue du nègre, il est clair que pour une créature aussi inférieure, l'esclavage est chose excellente. Rien ne peut valoir pour ces natures enfantines, faibles et imprévoyantes, un maitre que son intérêt oblige à prévoir tous leurs besoins. Nous en voyons la preuve dans la triste décadence où sont tombés la plupart des anciens esclaves de l'Amérique devenus libres après la guerre de sécession, et n'ayant plus qu'à compter sur eux-mêmes.

Quant à détruire la traite des nègres, comme prétendent le faire les Anglais, il faudrait, pour réussir dans cette tentative, empêcher la demande des esclaves, c'est-à-dire transformer entièrement les mœurs de tout l'Orient, et, du même coup, modifier quelque peu le reste du monde. Jusque-là, l'intervention hypocrite des Européens dans des affaires qui les intéressent en réalité fort peu sera entièrement inutile et n'aura d'autre résultat que de les faire détester davantage des Orientaux.

« Les expéditions contre les négriers du Soudan, dont on a fait grand bruit, n'ont été en réalité, dit un Anglais J. Cooper, dans son récent ouvrage sur la traite en Afrique, que des razzias ajoutant des massacres à des massacres. On a détruit quelques postes de chasseurs d'esclaves, bien vite rétablis sans doute après la retraite de l'expédition ; mais, en somme, cette énorme dépense d'argent et de sang humain a peu servi, et jamais des tentatives de ce genre n'ont entravé la traite. »

Les Européens, qui interviennent en Orient pour empêcher par la force le com­merce des esclaves, sont assurément des philanthropes vertueux animés des intentions les plus pures ; mais les Orientaux ne sont pas du tout persuadés de la pureté de ces intentions, et font remarquer que ces mêmes philanthropes vertueux, si tendres pour les noirs, forcent à coups de canon les Chinois à subir des importations d'opium, qui font périr plus d'hommes en une année que la traite des nègres n'en détruit dans une période dix fois plus longue.



Ces merveilleux palais, dont chaque grande cité était pleine à l'époque de la civilisation des Arabes, ont presque entièrement disparu aujourd'hui. Il s'en construit encore à Damas, mais ils ont pour auteurs des juifs enrichis, et le mauvais goût et le faux luxe, si habituels dans cette race, ne peuvent que faire regretter l'argent dépensé à édifier ces tristes imitations d'un art en voie de disparaitre. On y rencontre un affreux mélange d'objets orientaux de pacotille, de bibelots prove­nant de nos plus vulgaires bazars, et d'atroces peintures exécutées par des peintres en batiment de passage. Ces maisons, étant les seules ouvertes aux étrangers, sont généralement les seules que ces derniers visitent. On les considère très à tort comme des types de l'art arabe. La plus connue est celle d'un marchand juif, dont deux excellents auteurs, MM. Lortet et Guérin, ont cru devoir reproduire l'intérieur dans leurs ouvrages. Je n'ai pu y trouver de remarquable que l'extrême mauvais goût avec lequel les styles les plus divers ont été associés. On y voit de tout en effet : les meubles européens les plus communs, des chandeliers à treize sous, des statuettes de Napoléon et des peintures de paysage auprès desquelles les gravures coloriées d'Epinal seraient de purs chefs-d'œuvre.

Le palais dont j'ai reproduit la partie principale, celle consacrée au harem, appartient à la famille d'un ancien gouverneur de Damas, Azhad pacha. C'est un des plus anciens, et certainement le plus beau de ceux qui existent encore dans cette ville. Malheureusement il menace ruine, et ses propriétaires, d'un tempérament d'ailleurs très peu artistique, ne seraient pas assez riches pour le réparer. Il m'a donc semblé intéressant, à plusieurs points de vue, de le reproduire par la photo­graphie. Je n'ai fait qu'ajouter, d'après les documents exacts, l'ameublement qui manquait, et transposé une des parois afin de montrer l'ornementation de côté faisant face à l'entrée. Notre dessin représente un peu plus du tiers de la pièce. Lorsqu'on a franchi le seuil de la porte, et qu'on regarde le bassin de marbre qui est devant soi, on a sur sa gauche la partie rectangulaire figurée par le dessin, devant soi un second rectangle analogue et un troisième sur sa droite. L'ensemble a la forme d'une croix grecque dont on aurait coupé la branche inférieure remplacée par la porte d'entrée.

Je donne dans un autre dessin, exécuté également d'après mes photographies, la reproduction d'un des vitraux de la salle précédente.

Le tabac d'Orient ne contient presque pas de nicotine, et cependant on ne pourrait pas le fumer en très grande quantité sous forme de cigarette sans être incommodé. Il était donc évident que d'autres principes que la nicotine, considérée pendant longtemps comme l'unique agent toxique de la fumée du tabac, devaient s'y rencontrer. C'est pour déterminer leur nature que je me suis livré il y a quelques années à une série de recherches qui m'ont conduit à découvrir dans la fumée du tabac un alcaloïde beaucoup plus toxique que la nicotine, et de notables quantités d'acide prussique. Ces recherches ont été consignées dans le mémoire suivant : La fumée du tabac. Recherches chimiques et physiologiques, 2e édition, augmentée de recherches nouvelles sur l'acide prussique, l'oxyde de carbone et les divers principes toxiques contenus dans la fumée du tabac.

Il faut le style imagé des poètes pour décrire les visions qui hantent le cerveau placé sous l'influence du haschisch. Voici, à ce sujet, les observations de Gérard de Nerval :

« L'esprit, dégagé du corps, erre joyeux et libre dans l'espace et la lumière, causant familière­ment avec les génies qu'il rencontre et qui l'éblouissent de révélations soudaines et charmantes. Il traverse d'un coup d’œil facile des atmosphères de bonheur indicible et cela dans l'espace d'une minute qui semble éternelle tant ces sensations s'y succèdent avec rapidité. Moi, j'ai un rêve qui reparait sans cesse toujours le même et toujours varié lorsque je me retire dans ma cange chance­lant sous la splendeur de mes visions, fermant les paupières à ce ruissellement perpétuel d'hyacin­thes, d'escarboucles, d'émeraudes, de rubis qui forment le fond sur lequel le haschisch dessine des fantaisies merveilleuses. Comme au sein de l'infini, j'aperçois une figure céleste plus belle que toutes les créations du poète, qui me sourit avec une pénétrante douceur et qui descend des cieux pour venir jusqu'à moi. Est-ce un ange, une péri ? je ne sais. Elle s'étend à mes côtés dans la barque, dont le bois grossier se change aussitôt en nacre de perle et flotte sur une rivière d'argent poussée par une brise chargée de parfums. »



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