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Luttes du Christianisme contre l’Islamisme

l'histoire



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Luttes du Christianisme contre l’Islamisme

Les croisades

1. – Origine des croisades



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À la fin du onzième siècle, c'est-à-dire à l'époque où les croisades commencèrent, la puissance politique des Arabes en Orient était en décadence, mais le prestige que leur nom exerçait dans le monde n'avait pas pali. Ils possédaient encore l'Afrique et l'Espagne, et le temps n'était pas loin où, rois de la Méditerranée, maitres d'une partie de la France, souverains de la Sicile, ils allaient dans Rome même forcer le pape à leur payer tribut. Jamais aux plus grandes époques de la puissance romaine, le nom d'un César n'avait inspiré autant de terreur aux barbares qu'en produisait sur l'Europe le nom redoute de Mahomet. Aller attaquer dans son propre foyer cette puissance devant laquelle le monde tremblait depuis cinq siècles était une entreprise hardie, et il fallut à l'Europe chrétienne toute l'ardeur des siècles de foi, la certitude de pouvoir compter sur la protection du ciel et une armée d'un million d'hommes pour oser la tenter.

On sait comment, à la voix d'un illuminé, toute la chrétienté se leva, et comment des populations entières se précipitèrent sur l'Orient; on sait aussi que ce déploiement formidable de forces n'aboutit qu'à un succès éphémère, et que, malgré les flots de guerriers envoyés pendant deux siècles par l'univers chrétien pour conquérir et garder Jérusalem, l'Europe coalisée dut céder au croissant.

C'est à ces luttes du christianisme contre l'islamisme qu'on donne le nom de croisades. Leur résultat sur l'histoire générale de la civilisation en Europe fut très important, et il nous était impossible de les passer sous silence dans un ouvrage destiné à décrire non seulement la civilisation des Arabes, mais encore l'influence qu'elle a jouée dans le monde.

Quelques mots d'abord de l'état de l'Occident et de l'Orient à l'époque des croisades.

La fin du onzième, époque de la première croisade, marque pour l'Europe, et surtout pour la France, une des plus sombres périodes de leur histoire. La France était en pleine féodalité et couverte de chateaux forts dont les possesseurs demi-barbares, toujours en guerre, régnaient sur des serfs ignorants. Une seule puissance, l'autorité spirituelle du pape, avait quelque influence, mais elle était beaucoup plutôt crainte que respectée.

En Orient, l'empire grec était toujours debout. Bien que dans un profond état de décadence, Constantinople était encore le centre d'un grand empire. Occupée unique­ment de querelles religieuses et de spectacles, elle perdait chaque jour quelques lambeaux de cet empire. Sa puissance en Italie était éteinte. L'évêque de Rome et le patriarche de Byzance avaient fini par s'anathématiser réciproquement et fonder deux Églises.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 241

la figure # 155

Porte de Damas, à Jérusalem ; d'après une photographie.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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La Syrie appartenait en partie aux Turcs Seldjoucides, en partie aux sultans d'Égypte. Le khalifat de Bagdad n'était plus qu'une ombre. L'empire politique des Arabes était en dissociation, mais leur civilisation avait gardé toute sa puissance. La lutte gigantesque qui se préparait allait être celle d'un monde encore barbare contre une des civilisations les plus élevées dont l'histoire ait gardé la mémoire.

Les seules relations suivies existant à cette époque entre le centre de l'Europe et l'Orient étaient celles qui résultaient des voyages des pèlerins en Palestine. Depuis Constantin, et surtout depuis les rapports d'amitié d'Haroun-al-Raschid et de Charle­magne, les pèlerinages chrétiens en Palestine avaient toujours continué, et chaque jour ils devenaient plus nombreux. Certaines bandes de pèlerins formaient de vérita­bles bandes armées. En 1045, l'abbé Richard emmenait avec lui sept cents compa­gnons qui ne purent arriver, du reste, que jusqu'à Chypre. En 1064, Sigefroy, archevêque de Mayence, et quatre autres évêques conduisirent avec eux sept mille pèlerins, parmi lesquels des barons et chevaliers, qui eurent à livrer une véritable bataille aux Bédouins et aux Turkomans.

En raison des difficultés et des dangers des pèlerinages à Jérusalem, ils avaient fini par être imposés par le clergé comme pénitence expiatoire pour les plus vilains crimes. Les grands criminels n'étant pas rares à cette époque, et la crainte de l'enfer et du diable étant assez efficace sur ces ames barbares, les pèlerins étaient fort nombreux. En dehors de quelques aventuriers et de dévots exaltés, ils se composaient généralement de gredins de la pire espèce, doués des plus dangereux instincts, et que la crainte seule de brûler en enfer amenait si loin.

Le nombre de ces pèlerins devenant chaque jour plus grand, leurs allures de plus en plus bruyantes, les Turkomans, beaucoup moins tolérants que les Arabes qu'ils avaient remplacés en Syrie, leur contestèrent le droit qu'ils s'arrogeaient de traverser sans permission un empire mahométan pour aller faire leurs dévotions au cœur même de l'islam. Au lieu de les laisser continuer à entrer à Jérusalem en véritables triom­phateurs, au son des cymbales et à la lueur des torches, comme l'avaient toléré les Arabes, ils les obligèrent à des attitudes plus humbles, les rançonnèrent de toutes façons, et ne manquèrent pas une occasion de leur infliger mille vexations.

Parmi ces pèlerins se trouvait un ancien soldat qui, après de facheuses aventures conjugales, s'était fait moine. C'était un halluciné aussi fanatique qu'énergique : il s'appelait Pierre, et l'histoire a ajouté à ce nom celui de l'Ermite.

Indigné des mauvais traitements qu'il avait reçus en Palestine, et poursuivis par ses visions, Pierre s'imagina être chargé de la mission d'appeler l'Europe au secours de la terre sainte. Fort de cette mission imaginaire, il se dirigea vers Rome pour obtenir l'appui du pape. Urbain II l'autorisa à appeler les chrétiens à délivrer les lieux saints. Pierre l'Ermite se mit alors à parcourir l'Italie et la France, semant partout ses harangues violentes pleines de pleurs, de cris, de hurlements, de malédictions pour les infidèles et de promesses du ciel pour ceux qui iraient délivrer le tombeau du Seigneur. Son éloquence frénétique et imagée agissait puissamment sur les foules, et bientôt il fut considéré partout comme un prophète.

Mais les foules ébranlées par Pierre l'Ermite ne pouvaient rien à elles seules. Des circonstances particulières amenèrent bientôt les seigneurs, leurs maitres, à appuyer ce mouvement. L'empereur de Constantinople, Alexis Comnène, dont l'empire s'en allait chaque jour par lambeaux, et qui voyait les Turcs assiéger Constantinople, acca­blait de ses lamentations le pape et tous les souverains de l'Europe. Jointes aux prédications de Pierre, elles émurent le monde chrétien. Afin d'encourager le mouve­ment qui se dessinait, le souverain pontife réunit en Italie un premier concile qui n'amena aucun résultat, puis un second à Clermont en Auvergne l'an 1095. Pierre l'Ermite assistait à ce dernier. Sous l'influence de ses prédications véhémentes, et au cri de « Dieu le veut » hurlé par une foule en délire, tous les assistants s'attachèrent des croix de drap sur l'épaule, et jurèrent d'aller en Palestine délivrer le tombeau de Dieu. Le départ de l'expédition fut fixé pour l'Assomption de l'année suivante, temps nécessaire pour réunir la nombreuse armée que pareille entreprise semblait devoir comporter.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 243

la figure # 156

Vue d'une partie des murs de Jérusalem ; d'après une photographie de l'auteur.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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2. - Résumé des croisades

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L'idée d'une expédition en Palestine avait fini par enflammer au plus haut degré les ames. En dehors du ciel à gagner, chacun y voyait les moyens d'améliorer son sort : serfs attachés à la glèbe rêvant l'indépendance, cadets de famille privés de fortune par le droit d'ainesse, seigneurs mal partagés et désireux de s'enrichir, moines fatigués des rigueurs du couvent ; en un mot, tous les déshérités de l'existence, - et ils étaient alors nombreux, - se batissaient en imagination le plus séduisant avenir.

Ce fut bientôt un véritable délire : seigneurs, serfs, moines, femmes, enfants, tout le monde voulut partir ; chacun vendait ce qu'il avait pour s'équiper, et plus de treize cent mille hommes furent bientôt prêts à partir pour la Palestine.

Le délire devenant chaque jour plus aigu, ceux qui étaient prêts les premiers ne voulurent pas attendre la formation de l'armée régulière, et, dès le printemps de l'année 1096, des bandes immenses s'ébranlèrent de tous les cotés à la fois et se dirigèrent vers le Danube. De la mer du Nord jusqu'au Tibre, le mouvement était général. Dans certains villages on voyait tous les habitants partir, emportant la totalité de ce qu'ils possédaient. L'Europe entière se ruait sur l'Asie.

À mesure que ces bandes s'avançaient vers le but si ardemment souhaité, leur folie devenait plus intense. Les miracles, les apparitions se succédaient chaque jour dans ces têtes échauffées dont la faible raison s'était évanouie pour toujours.

La plus importante des bandes qui s'acheminèrent d'abord vers l'Orient avait pour chefs Pierre l'Ermite lui-même et un pauvre chevalier surnommé Gauthier sans Avoir. Elle fut d'abord assez bien reçue dans les premiers pays européens qu'elle traversait ; mais arrivée en Bulgarie, elle rencontra des populations demi-chrétiennes qui refusèrent. d'héberger gratuitement de pareilles foules. Irrités de ces refus, les croisés n'hésitèrent pas à s'emparer par la force de ce qu'on ne voulait pas leur donner, et commencèrent à piller les villages et à en massacrer les habitants. Mais ils avaient affaire à des populations peu endurantes qui usèrent immédiatement de représailles et qui tuèrent ou noyèrent un nombre considérable de leurs agresseurs. Ces derniers n'eurent d'autre ressource que de se sauver précipitamment. Arrivés devant Constanti­nople déjà bien réduits, ils y rencontrèrent des bandes de Teutons, Italiens, Gascons, Gallois, Provençaux arrivés avant eux. Réunis à ces hordes demi-sauvages ils se mirent à piller et à massacrer et se livrèrent à des actes indescriptibles de férocité. Désireux de s'en débarrasser au plus vite, les Byzantins leur donnèrent les vaisseaux nécessaires pour les conduire au-delà du Bosphore.

Cent mille environ furent ainsi transportés en Asie Mineure. Ils y commirent bientôt, à l'égard de tous les habitants, musulmans ou chrétiens des actes de sauva­gerie qu'excuse seul leur état d'alinéation évidente. D'après un récit d'Anne Comnène, fille de l'empereur chrétien de Constantinople, une de leurs distractions favorites était de tuer tous les enfants qu'ils rencontraient, de les couper en morceaux et de les faire rôtir.

Usant de légitimes représailles, les Turcs leur donnèrent méthodiquement la chasse et les tuèrent comme des bêtes fauves. Avec leurs ossements, ils élevèrent une gigantesque pyramide.

La première armée des croisés, qui avait compté plusieurs centaines de mille hommes, se trouva bientôt totalement anéantie ; mais derrière elle s'avançaient les troupes régulières commandées par les plus puissants seigneurs de la chrétienté. Jamais les Arabes n'avaient eu sous leurs ordres une armée aussi imposante. Elle comptait en effet 700 000 hommes parfaitement équipes, séparés en plusieurs corps. L'un d'eux, commandé par Godefroy de Bouillon, duc de Basse-Lorraine, comprenait 80 000 Lorrains, Bavarois et Saxons.

Arrivés en Asie Mineure, les croisés assiégèrent Nicée. Ayant battu une armée turque, ils coupèrent la tête à tous les blessés et rentrèrent triomphalement dans leur camp avec ces trophées pendus à la selle de leurs chevaux et les lancèrent ensuite dans la ville assiégée.

Ce n'était pas là un moyen bien sûr de se concilier les habitants. Certains du sort qui les attendait, ces derniers se rendirent à l'empereur de Constantinople, et les croisés, ses alliés, durent battre en retraite.

Il restait environ deux cents lieues à faire pour arriver en Syrie. Loin de tacher de ménager les habitants, ne fût-ce que pour s'assurer des ressources, les croisés ravagè­rent le pays à un tel point qu'ils se virent bientôt en proie à la famine. La discorde se mit alors dans leurs rangs. Deux chefs importants, Tancrède et Baudouin, se livrèrent bataille, puis Baudouin se sépara de ses compagnons avec son armée pour aller piller et guerroyer pour son compte.

Les maladies et la famine continuant à décimer de plus en plus les croisés, Pierre l'Ermite lui-même désespéra du succès de l'expédition et s'échappa du camp. Bientôt rejoint et ramené, il fut reçu à coups de batons par Tancrède.

Le désordre le plus complet régnait du reste dans l'armée ; l'espionnage y était tellement fréquent que Bohémond décida que les espions seraient coupés en mor­ceaux et rôtis pour servir de nourriture aux soldats affamés. De telles mesures montrent ce que pouvait être l'armée où elles étaient devenues nécessaires.

La conduite des croisés dans toute leur campagne ne peut être comparée d'ailleurs qu'à celle des plus féroces et en même temps des plus maladroits sauvages. Qu'il s'agisse d'alliés, d'ennemis ou de populations inoffensives, qu'ils aient devant eux des guerriers ou des réunions de femmes, d'enfants et de vieillards, leur conduite est la même ; ils tuent et pillent sans discernement. Les récits des chroniqueurs chrétiens de l'époque contiennent à chaque page des preuves de leur stupide férocité. Le récit suivant, dû à un témoin oculaire, Robert le Moine, de la conduite des croisés dans la ville de Marrat suffira, avec la relation de la prise de Jérusalem, que nous donnerons plus loin, à montrer comment les croisés faisaient la guerre.

« Les nôtres, dit le pieux et charitable chroniqueur, parcouraient les rues, les places, les toits des maisons, se rassasiant de carnage comme une lionne à qui on a enlevé ses petits ; ils taillaient en pièces et mettaient à mort les enfants, les jeunes gens, et les vieillards courbés sous le poids des années ; ils n'épargnaient personne, et pour avoir plus tôt fait, ils en pendaient plusieurs à la fois à la même corde. Chose étonnante ! spectacle étrange de voir cette multitude si nombreuse et si bien armée se laisser tuer impunément, sans qu'aucun d'eux fit résistance ! Les nôtres s'emparaient de tout de qu'il trouvaient, ils ouvraient le ventre aux morts, et en tiraient des byzantins et des pièces d'or. O détestable cupidité de l'or ! des ruisseaux de sang coulaient dans toutes les rues de la ville, et tout était jonché de cadavres. O nations aveugles et toutes destinées à la mort ! De cette grande multitude il n'y en eut pas un seul qui voulût confesser la foi chrétienne. Enfin Bohémond fit venir tous ceux qu'il avait invités à se renfermer dans la tour du palais ; il ordonna de tuer les vieilles femmes, les vieillards décrépits et ceux que la faiblesse rendait inutiles ; il fit réserver les adultes en age de puberté et au-dessus, les hommes vigoureux, et ordonna qu'ils fussent conduits à Antioche pour être vendus. Ce massacre des Turcs eut lieu le 12 décembre, jour du dimanche ; cependant tout ne put être fait ce jour-là : le lendemain les nôtres tuèrent le reste. »

On conçoit quelle opinion des Orientaux, si civilisés alors, devaient avoir de tels adversaires, aussi leurs chroniques sont-elles pleines du profond mépris qu'ils leur inspiraient. « Ils ne méritent même pas le nom d'hommes, » écrivait plus tard le grand poète persan Saadi.

Quand les chrétiens arrivèrent devant Jérusalem, sur plus d'un million d'individus partis de l'Europe, il en restait 20 000. Cette armée gigantesque, qui aurait pu conqué­rir le monde si elle avait été composée d'autres hommes, était presque entièrement anéantie. La famine, la peste, les excès, les luttes intestines, beaucoup plus que les batailles, l'avaient détruite.

Jérusalem appartenait alors au sultan d'Égypte, qui l'avait reprise sur les Turcs. Les croisés s'en emparèrent le 15 juillet 1099. Une vision, de saint Georges sur le mont des Oliviers les stimula tellement qu'ils se précipitèrent tous sur les murailles et parvinrent à les franchir.

Leur conduite dans la ville, sainte fut bien différente de celle du généreux khalife Omar à l'égard des chrétiens quelques siècles auparavant.

« Quand les nôtres, écrit Raymond d'Agiles, chanoine du Puy, furent maitres des remparts et des tours, on vit alors des choses étonnantes (!) parmi les Sarrasins ; les uns avaient la tête coupée, et c'était le moins qui leur put arriver (!) les autres, percés de traits, se voyaient forcés de s'élancer du haut des murailles, d'autres enfin, après avoir longtemps souffert, étaient livrés aux flammes. On voyait dans les rues et sur les places de Jérusalem, des monceaux de têtes, de mains et de pieds. Partout on ne marchait qu'à travers des cadavres. Mais tout cela n'est encore que peu de chose »

Le doux chanoine donne du massacre de 10 000 musulmans, réfugiés dans la mosquée d'Omar, l'agréable description suivante :

« Il y eut, dit-il, tant de sang répandu dans l'ancien temple de Salomon, que les corps morts y nageaient portés ça et là sur le parvis ; on voyait flotter des mains et des bras coupés qui allaient se joindre à des corps qui leur étaient étrangers, de sorte qu'on ne pouvait distinguer à quel corps appartenait un bras qu'on voyait se joindre à un tronc. Les soldats eux-mêmes qui faisaient ce carnage, supportaient à peine, la fumée qui s'en exhalait. »

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 246

la figure # 157

Vue de Jérusalem ; d'après une photographie de l'auteur.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Ce premier massacre ayant été jugé tout à fait insuffisant, un conseil des croisés décréta la destruction de la totalité des habitants de Jérusalem, mahométans, juifs ou chrétiens schismatiques. Leur nombre était d'environ 60 000. L'opération dura huit jours malgré le zèle qu'y apportèrent les pieux chevaliers. Femmes, enfants, vieillards, rien n'échappa.

Pour se reposer des fatigues occasionnées par ce massacre de toute une popula­tion, les croisés se livrèrent aux plus dégoûtantes orgies. Les chroniqueurs chrétiens eux-mêmes, malgré toute leur indulgence, s'indignent de la conduite des défenseurs de la foi : Bernard le trésorier les traite de fous, Baudin, archevêque de Dol, les com­pare à des juments qui se vautrent dans l'ordure « computruerunt illi, tanquam jumenta in stercoribus. »

La prise de Jérusalem produisit une aussi grande sensation dans le monde de l'islam que dans celui de la chrétienté. Le prestige des disciples du prophète, si grand depuis cinq siècles, sembla pour un instant ébranlé.

Mais si la consternation fut grande chez les mahométans, ce terrible revers eut pour résultat d'éteindre immédiatement toutes les divisions qui les déchiraient ; le sultant du Caire oublia ses rivalités avec le khalife de Bagdad, et ils s'envoyèrent des ambassadeurs chargés de concerter les mesures à prendre pour réparer cette calamité.

La conquête de Jérusalem avait coûté aux chrétiens un million d'hommes et ruiné une partie de l'Europe. On pouvait donc espérer qu'ils sauraient garder une conquête si coûteuse. Il n'en fut rien ; Jérusalem devait bientôt retomber, et pour toujours, sous la loi des disciples du prophète.

Godefroy avait été élu roi de Jérusalem. Il méritait cet honneur par la bravoure dont il avait fait preuve ; mais la bravoure ne suffit pas pour organiser un empire. Le nouveau roi se montra aussi pauvre administrateur qu'il avait été vaillant capitaine. Il mourut bientôt et son successeur Baudouin ne se montra pas plus capable que lui.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 247

la figure # 158

Le Haram-ech-Chérif. Intérieur de l'enceinte où se trouve la mosquée d'Omar à Jérusalem
et où se trouvait autrefois le temple de Salomon ; d'après une photographie de l'auteur.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Lorsque Baudouin mourut à son tour en 1119, la domination franque durait depuis vingt ans en Palestine et n'avait eu pour résultats que la ruine et la dépopulation du pays. La féodalité y avait été introduite comme en Europe, et le territoire partagé entre les seigneurs : comtes de Tripoli, d'Ascalon, de Jaffa, etc., constamment en guerre entre eux. Tous ces petits tyrans, pressés de s'enrichir, avaient rapidement ruiné le pays, jadis si riche sous l'intelligente domination des Arabes. Voici, du reste, comment un auteur chrétien contemporain, Jacques de Vitry, évêque d'Acre, juge, dans son histoire de Jérusalem, les successeurs des premiers croisés :

« Une génération méchante et perverse, des enfants scélérats et dégénérés, des hommes dissolus, des violateurs de la loi divine, étaient sortis des premiers croisés, hommes religieux et agréables à Dieu, comme la lie sort du vin et le marc de l'olivier, ou comme l'ivraie sort du froment, et la rouille de l'airain Pour la plus légère cause ils étaient entre eux en procès, en querelle, en guerre civile ; souvent même ils demandaient du secours contre les chrétiens aux ennemis de notre foi Il n'y a, dans la terre de promission que des impies, des sacrilèges, des voleurs, des adultères, des parricides, des parjures, des bouffons, des moines lascifs et des religieux impudiques. »

Guillaume de Tyr n'est pas moins explicite. Après avoir traité les fils de croisés « de véritables enfants de perdition, d'enfants dénaturés contempteurs de la foi, se précipitant à l'envie dans toutes sortes d'excès, » il ajoute : « Telle est la monstruosité de leurs vices, que si un écrivain entreprenait d'en faire le tableau, il succomberait sous le poids d'un pareil sujet, et il paraitrait plutôt composer une satire qu'une histoire. »

Pendant que les chrétiens continuaient à ruiner le pays, les musulmans reconqué­raient graduellement ce qu'ils avaient perdu. Leurs progrès en Syrie, et notamment la prise d'Edesse, finirent par jeter une telle épouvante parmi les chrétiens de la Palestine qu'ils s'empressèrent de demander assistance à l'Europe.

Une seconde croisade fut organisée pour leur porter secours. Saint Bernard réussit à stimuler l'enthousiasme religieux. Louis VII, roi de France, partit pour la Palestine comme chef de la nouvelle croisade et Conrad III, d'Allemagne, se joignit à lui. Louis VII arriva en Asie Mineure avec une armée de cent mille hommes qui fut bientôt entièrement détruite. Il dut s'échapper précipitamment par mer, et gagna Antioche, d'où il se dirigea sur Jérusalem en simple pèlerin. L'armée de Conrad III eut exacte­ment le même sort.

La conduite des croisés dans cette seconde croisade fut la même que dans la première : « Peu de croisés, dit le chanoine Anquetil, dans son histoire, eurent des intentions purement religieuses. Il n'y a pas de crimes atroces, de brigandages, d'actions honteuses qu'on ne leur reproche. » Saint Bernard en fut réduit à attribuer à tous ces horribles excès l'insuccès de la nouvelle croisade.

Il était réservé à l'illustre sultan Saladin d'expulser définitivement les chrétiens de Jérusalem. Après avoir réuni sous sa main, en un seul empire, l'Égypte, l'Arabie et la Mésopotamie, il pénétra en Syrie, battit et fit prisonnier le triste roi de Jérusalem, Guy de Lusignan, et s'empara en 1187 de la ville sainte. Loin d'imiter la conduite féroce des premiers croisés, et de massacrer à son tour tous les chrétiens, Saladin se borna à leur imposer un faible tribut et interdit tout pillage.

Le royaume latin de Jérusalem était détruit après une durée de 88 ans. Sept siècles se sont écoulés depuis ces événements, et, malgré tous les efforts du monde chrétien, la ville sainte est restée entre mains des disciples de Mahomet.

L'histoire des efforts infructueux faits par l'Europe pour reconquérir Jérusalem, c'est-à-dire l'histoire des six dernières croisades, présente un intérêt très faible ; aussi nous bornerons-nous à un résumé rapide.

Ce fut Guillaume, archevêque de Tyr, en Phénicie, qui prêcha la troisième croisa­de (1189-1192). Elle eut pour chef Philippe-Auguste, roi de France, Richard Cœur de Lion, roi d'Angleterre, et Frédéric Barberousse, empereur d'Allemagne, c'est-à-dire les trois plus puissants souverains de l'Europe.

Barberousse mourut en Asie Mineure à la suite d'un bain pris dans les eaux du Cydnus, et il n'arriva en Syrie que les débris de son armée. Philippe-Auguste se lassa bientôt, et, après un court séjour en Palestine, alla se rembarquer à Tyr en laissant derrière lui une armée de dix mille hommes sous les ordres du duc de Bourgogne. Resté chef suprême, Richard Cœur de Lion continua les actes de sauvagerie par lesquels s'étaient signalés les premiers croisés. Il commença par faire massacrer en face du camp des musulmans trois mille prisonniers qui s'étaient rendus, et auxquels il avait juré la vie sauve, et se livra à toutes sortes de meurtres et de pillages.

On conçoit l'effet que durent produire des actes pareils sur le chevaleresque Saladin, qui avait si généreusement épargné les habitants chrétiens de Jérusalem, et pendant une maladie de Philippe Auguste et de Richard Cœur de Lion leur avait envoyé des provisions et des rafraichissements. Il entrevit l'abime qui séparait alors la façon de penser et de sentir d'un homme civilisé de celle d'un barbare, et comprit qu'on ne pouvait traiter de semblables forcenés que comme des animaux sauvages. Richard fut bientôt obligé de quitter la Palestine sans avoir même pu se présenter devant Jérusalem.

La troisième croisade n'eut d'autre effet que de maintenir les chrétiens dans quelques villes du littoral qui leur restaient. Pour arriver à ce mince résultat, les trois plus puissants rois de l'Europe avaient coalisé leurs forces.

La quatrième croisade (1202-1204) eut pour chef Baudouin, comte de Flandre. Jusqu'alors les croisés s'étaient rendus en Palestine par terre : ils résolurent cette fois de s'y rendre par mer, et se dirigèrent directement de Zara à Constantinople, alors capitale d'un empire chrétien.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 249

la figure # 159

Chaire de marbre, dite chaire d'Omar, dans l'enceinte du Haram à Jérusalem ;
d'après une photographie de l'auteur.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Arrivés à Constantinople, quelques croisés firent la remarque judicieuse que la Syrie était bien trop loin et trop épuisée par les précédents envahisseurs pour offrir une riche proie, alors que Constantinople, qu'on avait sous la main, contenait de grandes richesses. La justesse de cette observation ayant paru évidente, on résolut le pillage de la ville, où on était entré en allié, et les bons chevaliers se mirent à la saccager de fond en comble. Constantinople renfermait alors les plus précieux trésors d'art et de littérature accumulés par l'antiquité grecque et latine. Mais les trésors d'art et de littérature présentaient exactement autant d'intérêt à des croisés du commen­cement du treizième siècle, qu'ils auraient pu en offrir à une tribu de Peaux rouges. Ce qui n'était pas or et argent fut brisé ou jeté à la mer. Tous les marbres de Lysippe, Phidias Praxitèle furent détruits ; des ouvrages importants de Demosthène, Diodore, Polybe, etc., perdus pour toujours.

Rassasiés de butin, Baudouin et ses compagnons ne songèrent nullement à conti­nuer leur voyage vers la Palestine. Baudouin se fit nommer empereur, et Innocent III, tout en reconnaissant que les chrétiens s'étaient rendus coupables des plus horribles excès, confirma l'élection. Il n'est pas besoin d'ajouter que le pouvoir du nouveau roi fut des plus éphémères : les guerriers chrétiens étaient de trop lourds barbares pour pouvoir fonder un empire durable ; ils ne savaient que détruire, et leur court séjour à Constantinople n'eut d'autre résultat que la perte des plus précieux trésors de l'antiquité gréco-latine.

Les cinquième et sixième croisades ne furent que des expéditions sans impor­tance. Peu soucieuse d'aller se faire battre à Jérusalem, la majorité des croisés se dirigea vers l'Égypte dans l'espoir d'un riche butin. Ils ne s'avancèrent d'ailleurs pas bien loin et furent promptement obligés de battre en retraite.

Une petite armée, commandée par Frédéric II d'Allemagne, s'était dirigée à la vérité vers Jérusalem. Ce prince, grace à un traité d'alliance avec les musulmans, obtint la permission d'entrer en allié à Jérusalem ; mais il dut revenir en Europe sans avoir obtenu d'autre résultat que cette petite satisfaction.

Les croisades perdaient du reste le caractère d'entreprises européennes qu'elles avaient d'abord revêtu. Les hordes d'hommes s'abattant sur l'Asie étaient remplacées par de petites expéditions où chacun agissait un peu à sa guise, cherchant avant tout à s'enrichir.

Malgré les cinq croisades qui avaient suivi la première, Jérusalem et la presque totalité de la Palestine restaient aux mains des musulmans. Saint Louis résolut de tenter un nouvel effort, et il entreprit, en 1248, une septième croisade. Parti d'Aigues-Mortes avec cinquante mille hommes, il se dirigea vers l'Égypte et débarqua à Damiette, dont il s'empara bientôt ; puis marcha sur le Caire ; mais son armée fut complètement battue, et lui-même fait prisonnier. Rendu à la liberté moyennant rançon, il se rendit en Syrie où, malgré deux ans de séjour, il ne put obtenir aucun avantage et dut revenir en France sans avoir même pu se présenter devant Jérusalem.

Malgré cet échec, saint Louis ne perdit pas courage, et, seize ans plus tard, il entreprenait une nouvelle croisade. Embarqué le 4 juillet 1270 à Aigues-Mortes, avec trente mille hommes d'infanterie et six mille de cavalerie, il se dirigea vers Tunis dans l'espoir chimérique que le gouverneur se ferait chrétien. Bientôt atteint de la peste, au siège de cette ville, il mourut le 25 août 1270.

Cette huitième croisade fut la dernière. L'ère de ces grandes expéditions était close pour toujours. L'Orient restait définitivement aux mains des disciples du prophète.

Les chrétiens perdirent bien vite les rares possessions qu'ils avaient conservées en Palestine. En vain les papes firent-ils tous leurs efforts pour réveiller l'ardeur des fidèles, il était trop tard, la foi était refroidie dans les ames ; l'activité des peuples de l'Occident se tournait vers d'autres objets.

En terminant ce très court résumé de l'histoire des croisades, je n'essaierai pas de rechercher si cette agression de l'Europe contre l'Orient fut juste ou ne le fut pas. De telles questions peuvent utilement fournir matière de dissertation à de jeunes historiens, mais elles ne sont pas dignes d'une discussion sérieuse. Je ne connais pour mon compte aucun exemple de conquérants anciens ou modernes qui se soient préoccupés un instant de savoir si une entreprise guerrière était juste ou injuste, quand elle était nettement conforme à leurs intérêts et pouvait être entreprise sans trop de dangers. Si l'entreprise réussit, point n'est besoin de la justifier ; le succès suffit et si, par impossible, l'utilité d'une justification se faisait exceptionnellement sentir, les rhéteurs de profession ne sont nullement embarrassés pour la tenter. Il est facile aussi de récriminer contre l'injustice de la force, et de prouver par d'éloquentes tirades que le droit ne doit pas être primé par elle. Mais de telles récriminations ont sur la marche naturelle des choses aussi peu d'influence que nos lamentations contre les infirmités, la vieillesse et la mort. Les principes du droit théorique exposés dans les livres n'ont jamais servi de guides à aucun peuple. L'histoire nous montre que les seuls principes qui aient jamais été respectés sont ceux qu'on peut faire prévaloir les armes à la main. En prêchant les croisades et en inspirant des guerres meurtrières qui, au point de vue du droit théorique, seraient contraires aux lois de la plus élémentaire équité, les papes n'ont fait qu'imiter tous les conquérants passés ou futurs, et il serait injuste de le leur reprocher. Nous laisserons donc entièrement de côté toute appréciation sur ce point et ne nous occuperons que des résultats immédiats ou lointains engendrés par cette lutte colossale entre deux mondes.

3. - Résultats des luttes
entre l'Occident et l'Orient

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Les appréciations des historiens sur les résultats des croisades sont fort contra­dictoires. Très vantées par la plupart, elles sont considérées par d'autres comme n'ayant produit que des résultats funestes.

Si nous envisageons les croisades au point de vue du but direct qu'elles se proposaient d'obtenir, c'est-à-dire la possession de la Palestine, il est évident que leur résultat a été totalement nul, puisque, malgré une formidable dépense d'hommes et d'argent, continuée pendant deux siècles par l'Europe, les musulmans restèrent mai­tres des contrées que les chrétiens voulaient à tout prix conquérir.

Mais si nous considérons les croisades au point de vue des résultats indirects dont elles furent l'origine, nous devons reconnaitre que ces derniers furent très consi­dérables. Parmi eux, il en est d'avantageux, d'autres de nuisibles ; mais les résultats utiles l'emportèrent certainement sur ceux qui ne le furent pas. Ce contact de deux siècles avec l'Orient fut un des plus puissants facteurs de développement de la civilisation en Europe. Il arriva ainsi que les conséquences des croisades furent très différentes de celles qu'elles se proposaient d'obtenir. Ce défaut de concordance entre le but poursuivi et le but atteint est tellement fréquent, du reste, dans l'histoire, qu'on pourrait facilement prouver qu'il est généralement la règle.

Si l'on se veut rendre un compte exact de l'influence réciproque de l'Orient sur l'Occident, il faut avoir présent à la pensée l'état de civilisation respective des peuples qui se trouvaient en présence. Nous savons que grace aux Arabes l'Orient jouissait alors d'une civilisation brillante pendant que l'Occident était plongé dans la barbarie. Notre exposé des croisades nous a fait voir que les croisés se conduisirent partout en vrais sauvages, pillant et massacrant indistinctement amis ou ennemis, et détruisant dans Constantinople les plus inestimables trésors de l'antiquité grecque et latine.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 251

la figure # 160

Porte de Jaffa à Jérusalem ; d'après une photographie instantanée de l'auteur.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Au contact de ces rudes barbares, l'Orient n'avait rien à gagner, et il ne gagna vraiment rien. Pour les Orientaux la principale conséquence des croisades, - et cette conséquence est un des résultats nuisibles dont nous parlions plus haut - fut de lui inspirer pour les Occidentaux un mépris qui a traversé les ages. L'ignorance, la grossièreté, la stupide férocité, la mauvaise foi des croisés leur donnèrent la plus triste idée des peuples chrétiens de l'Europe et de leur religion. Il s'est ainsi creusé entre les peuples de l'Orient et ceux de l'Occident un abime que rien aujourd'hui ne saurait combler.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 252

la figure # 161

Verre arabe, dit de Charlemagne, probablement rapporté d'Orient

à l'époque des Croisades. (Musée de Chartres).

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Cette inimitié profonde, et trop justifiée, des populations de l'Orient contre celles de l'Occident, ne fut pas le seul résultat nuisible des croisades.

Elles eurent encore pour effet facheux d'accroitre outre mesure la puissance spirituelle des papes, chefs suprêmes des croisés, et celle du clergé enrichi par les terres que les seigneurs étaient obligés de lui vendre pour payer leurs frais d'expé­dition. De cet accroissement de puissance des uns et de richesse de l'autre, il résulta bientôt que le pape voulut régenter les peuples et les rois et que la corruption du clergé devint générale. Ces effets, devenus causes à leur tour, engendrèrent plus tard la Reforme et toutes les luttes sanglantes qui en furent la suite.

Une des plus funestes conséquences des croisades fut d'avoir établi pour des siècles l'intolérance dans le monde, et de lui avoir donné ce caractère de cruauté barbare qu'aucune religion, celle des juifs exceptée, n'avait connu encore. Avant les croisades, l'intolérance était assez grande, mais il était rare qu'elle allat jusqu'à la cruauté. Pendant les croisades, elle acquit un degré de frénésie furieuse qui se prolongea presque jusqu'à nos jours. Habitué à verser le sang, le clergé appliqua bientôt à la propagation de la foi et à l'extinction des hérésies les procédés d'extermi­nation appliqués d'abord aux infidèles. La moindre vélléité d'opposition lui paraissait digne des plus affreux supplices. Les massacres des juifs, des Albigeois et des diverses catégories d'hérétiques, l'inquisition, les guerres de religion et toutes ces luttes qui ensanglantèrent l'Europe pendant si longtemps, furent les conséquences du funeste esprit d'intolérance développé par les croisades.

Ces effets nuisibles des croisades étant bien mis en évidence, recherchons maintenant leurs résultats utiles

Au point de vue politique, les croisades eurent pour conséquence, en France et en Italie au moins, d'ébranler fortement le régime féodal. Non seulement les seigneurs perdirent beaucoup de leurs terres par suite de la nécessité où ils se trouvèrent de subvenir à leurs frais d'expédition, mais ils durent vendre aussi aux villes des fran­chises et des privilèges qui en firent de petits États libres dans les États seigneuriaux, et soumis seulement à l'autorité du roi. L'affranchissement des cités devint bientôt général, et toutes les villes finirent par être érigées en communes indépendantes. Il en résulta un grand affaiblissement de la puissance féodale du moins celle des petits seigneurs. Les grands fiefs, au contraire, tendirent plutôt à s'étendre. La puissance du roi, devenu seul arbitre entre les vassaux et leurs anciens maitres, s'accrut également. Les rois de France, si faibles avant les croisades, virent leur puissance s'étendre après elles aux dépens de leurs anciens vassaux, dont le pouvoir, d'abord presque égal au leur, finit en quelques siècles par être réduit à de simples apparences.

La diminution du pouvoir féodal, engendrée par les croisades, ne s'observa qu'en France et en Italie. En Angleterre et en Allemagne, le résultat fut tout à fait contraire : les seigneurs n'ayant pris qu'une part assez restreinte aux premières croisades ne virent pas leurs fiefs amoindris, alors que les rois, qui s'y étaient au contraire fort engagés, furent bientôt à la merci de leurs vasseaux. Les derniers en profitèrent aussitôt pour restreindre la puissance royale. Trois empereurs allemands prirent part aux croisades, et, quand le dernier, Frédéric II, mourut, le pouvoir impérial n'était qu'une ombre. Trois souverains français, aussi, avaient pris part aux croisades ; mais le voyage de Philippe-Auguste avait été bien court, et, pendant l'absence de Louis VII et de Louis IX, l'énergie de Suger et de la reine Blanche avait facilement contenu une noblesse trop affaiblie déjà pour être bien redoutable. Si nous voulions suivre les événements dans leurs conséquences lointaines, nous montrerions facilement que la constitution politique si solide de l'Angleterre eut ses racines dans les conditions particulières engendrées par les croisades.

Ces grandes luttes de l'Europe et de l'Asie eurent également une influence considérable sur le commerce. L'équipement, l'approvisionnement, les transports des immenses armées que L'Europe déversa pendant deux siècles sur l'Orient, produisi­rent un mouvement commercial et maritime considérable : Marseillais, Pisans, Génois, Vénitiens surtout y gagnèrent beaucoup. La marine de Marseille prit un tel accroissement, qu'en 1190 elle pouvait transporter en Terre Sainte toute l'armée de Richard Cœur de Lion.

Le développement commercial résultant des croisades ne s'arrêta pas après l'expulsion des croisés de l'Asie, car la plupart des républiques marchandes d'Italie firent des traités de commerce avec les princes musulmans. Ce commerce avec l'Orient devint même une des principales causes de la puissance de Venise, et il ne fit que s'accroitre jusqu'au jour où la découverte de routes maritimes nouvelles le fit passer dans d'autres mains.

L'influence des croisades sur l'industrie et les arts ne fut pas moins grande. Tout grossiers qu'étaient les seigneurs croisés, ils furent frappés par l'éclat du luxe oriental et le commerce leur fournit les moyens de l'imiter. C'est au douzième et surtout au treizième siècle que nous voyons le luxe de l'Orient s'introduire dans les armes, les vêtements et les demeures des habitants de l'Occident.

Mais, à mesure que le luxe se développe, il entraine forcément des progrès industriels importants. L'industrie cherche naturellement à obtenir les produits que le commerce lui demande, et la nécessité la conduit bientôt à satisfaire ses exigences. Le travail du bois et des métaux, la fabrication des émaux et des verreries exigeaient des connaissances variées. Inconnues avant l'époque des croisades, ces connaissances furent bientôt empruntées à l'Asie et répandues en Europe. Les verreries de Tyr servirent de modèles à celles de Venise. La fabrication des étoffes de soie, l'art de les teindre habilement, si développés chez les musulmans se propagèrent bientôt en Europe. Dans les armées que l'Occident envoya pendant deux siècles en Orient, des ouvriers de toutes sortes, armuriers, architectes, charpentiers, etc., se trouvaient représentés. Le séjour de tous ces artisans en Syrie fut assez long pour qu'ils pussent y acquérir les connaissances qui leur manquaient.

Dans les arts, l'influence de l'Orient sur l'Occident fut également très grande. Au contact des produits artistiques de tout genre que possédait le monde oriental, depuis Constantinople jusqu'à l'Égypte, le goût des croisés se dégrossit bientôt.

L'architecture elle-même finit pas se transformer entièrement en Europe, et il ne nous sera pas difficile de montrer, dans un autre chapitre, que ses premières trans­formations furent considérablement influencées par les oeuvres de la civilisation arabe.

Au point de vue de la science pure, les croisades n'eurent, contrairement à l'opinion de beaucoup d'historiens, qu'une influence extrêmement faible. Les savants étaient inconnus dans les armées croisées, et on n'importe pas, du reste, des connais­sances et des méthodes comme la forme d'un monument ou une recette industrielle. Si nous ne disons pas que l'influence des croisades sur les progrès scientifiques de l'Europe fut entièrement nulle, c'est que l'industrie est assez proche parente de la science et qu'en étudiant l'une on est souvent conduit à s'occuper un peu de l'autre. Le moyen age puisa certainement ses connaissances scientifiques et littéraires dans les livres des Orientaux mais nous montrerons dans un autre chapitre que ce ne fut nullement par les croisades qu'elles pénétrèrent en Europe.

Au point de vue exclusivement littéraire, l'influence des croisades, bien qu'égale­ment très faible, ne fut pas non plus absolument nulle. Elles inspirèrent une foule de poètes et de prosateurs. Les enchanteurs de l'Égypte, les merveilles de l'Orient, Godefroy, Tancrède, etc., furent le thème principal des récits que les trouvères allaient réciter de chateaux en chateaux.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 255

la figure # 162

Vase arabe de cuivre damasquiné, connu sous le nom de baptistère de saint Louis.
(Musée du Louvre.)

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Nous pouvons conclure de ce qui précède que, grace aux croisades, l'influence civilisatrice de l'Orient sur l'Occident fut très grande, mais que cette influence fut beaucoup plus artistique, industrielle et commerciale que scientifique et littéraire. Quand on considère le développement considérable des relations commerciales et l'importance des progrès artistiques et industriels, engendrés par le contact des croisés avec les Orientaux, on peut affirmer que ce sont ces derniers qui ont fait sortir l'Occident de la barbarie, et préparé ce mouvement des esprits que l'influence scienti­fique et littéraire des Arabes, propagée par les universités de l'Europe, allait bientôt développer et d'où la renaissance devait sortir un jour.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 256

la figure # 163

Ancien plat arabe en cuivre.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Fin du troisième livre : “ L’empire des Arabes ”



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