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L’INSTITUTION SCOLAIRE FRANÇAISE CONFRONTEE A LA QUESTION DE LA VIOLENCE

la sociologie



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L’INSTITUTION SCOLAIRE FRANÇAISE CONFRONTEE A LA QUESTION DE LA VIOLENCE



Resume : Cette contribution s’appuie sur les résultats de l’enquÊte pédagogique que Jacqueline Igersheim et moi-mÊme avons dirigée au sein de la Faculté des Sciences Sociales de l’Université Marc Bloch, dont des résultats encore trÈs partiels ont fait l’objet d’un article publié par la Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est Cette recherche m’a permis de vérifier et d’affiner un certain nombre d’hypothÈses concernant les raisons pour lesquelles cette question a connu un large écho médiatique au cours des quinze derniÈres années mais aussi de saisir, au contact des acteurs de terrain (enseignants et personnels des établissements scolaires, ainsi qu’élÈves des collÈges étudiés), les transformations que connaissent ces phénomÈnes et le sens que prend cette violence, éclairant ainsi des mutations non seulement de l’école mais également de la société globale.

Mots-cles: ecole, violence, institution scolaire, médias

On peut affirmer que l'institution scolaire est pour une bonne part dans certaines des transformations dans les mentalités et les modes de vie que nous connaissons (par exemple, dans l'évolution de la place des femmes et des rapports hommes/femmes dans la société). Il n'est, donc, pas étonnant que les dysfonctionnements de l'institution et les problÈmes auxquels elle se trouve confrontée fassent l'objet d'un intérÊt qui dépasse largement les limites de l'école elle-mÊme. Parmi ces problÈmes, la montée des phénomÈnes de violence retient tout particuliÈrement l'attention des acteurs et des observateurs du monde scolaire, mais aussi des médias. Il faut, cependant, faire un certain nombre d'observations à ce sujet, avant d'entrer dans l'analyse de la question :

la montée de la violence déborde le cadre scolaire. Les interrogations suscitées par l'essor d'une violence banalisée (que d'aucuns adjectivent d'urbaine) et l'extension de diverses formes d'incivilité caractérise l'évolution de nos sociétés et peut Être mise en rapport avec la crise de l'emploi, le développement de la précarité, la perte de repÈres moraux, les difficultés dans lesquelles se trouvent nombre de familles pour assurer leur rôle éducatif, ou encore, dans un autre registre, la crise du mouvement ouvrier et la perte de représentativité de ses organisations politiques et syndicales ;

la violence n'est pas un phénomÈne nouveau au sein de l'institution scolaire. Aussi loin que l'on remonte dans la description de la vie scolaire chez différents auteurs, on a mÊme le sentiment que le 'volume' de cette violence a plutôt décru de nos jours, suivant en cela le processus décrit par Norbert Elias[2], une diminution de la violence corrélative à une baisse du seuil de tolérance à son égard qui serait une des caractéristiques de la civilisation des mœurs (et qui ferait que le sentiment d'insécurité aurait tendance à augmenter, mÊme lorsque les phénomÈnes violents diminuent) ;

la violence à l'école est un phénomÈne multiforme dont on peut (au moins) distinguer la violence qu'exerce l'institution sur l'ensemble des acteurs, et notamment sur les élÈves, la violence des adultes, qui a pour premiÈre cible l'ensemble des élÈves (ou un certain nombre d'entre eux), la violence des élÈves les uns par rapport aux autres, à l'égard des adultes ou l'auto-violence tournée par certains individus contre eux-mÊmes. Ces différentes formes de violence interagissent entre elles, et produisent un enchainement de situations qui, dans certains cas, peuvent engendrer des situations extrÊmes. Agir sur la violence des élÈves sans prendre en compte les autres niveaux ne peut avoir une efficacité que relative et sujette à remise en question, car celle-ci est souvent perçue par les élÈves violents (à tort ou à raison) comme une réponse adéquate à des vexations et des brimades dont ils se sentent victimes. Dire cela ne signifie pas qu'il faille baisser les bras devant des agissements inacceptables pour la sécurité et le respect de chacun et pour la bonne marche de la collectivité. C'est simplement ne pas vouloir réduire le phénomÈne à une seule de ses dimensions, fut-elle (de nos jours) la plus importante, et attirer l'attention des responsables de l'institution sur la nécessité d'une action plurielle dans leurs efforts pour juguler les actes et les comportements violents ;

dans la perception de la violence par les adultes, et notamment par les enseignants, les bousculades, l'agitation, une faible capacité de concentration et un langage caractérisé comme grossier occupent une bonne place. Sans nier que cet état de choses rende pénible la tache de l'enseignant en classe (ou du surveillant dans la cour, ou des personnels divers confrontés à ces attitudes dans l'enceinte scolaire), il ne faut pas perdre de vue que, chez bon nombre de jeunes, cela n'est pas perçu comme de la violence, car ça correspond à des normes culturelles, à la fois dans les rapports entre jeunes et dans le vécu familial. Nombre de ces comportements ne sont, d'ailleurs, en rien nouveaux mais seulement amplifiés par une moins grande censure sociale, à l'école comme hors des murs de celle-ci. Dans les collÈges et les lycées, la présence plus massive et pour une période plus longue de jeunes issus de milieux modestes amplifie le phénomÈne en question. On peut ajouter à ce tableau l’écart croissant des origines sociales des élÈves des quartiers défavorisés et de leurs enseignants. Comme nous le rappelle Jean-Paul Payet, « On constate statistiquement, sur une période longue, que les enseignants sont de moins en moins issus de milieu populaire et de plus en plus issus des classes moyennes. Ce phénomÈne est corrélé à la féminisation du corps, mÊme si les choses sont évidemment plus complexes. De moins en moins souvent, les enseignants ont connu une socialisation proche de celle des enfants et des adolescents scolarisés dans les établissements populaires. De moins en moins souvent, il y a, pour l’enseignant, possibilité d’identification ou de compréhension à partir de son expérience personnelle. De plus en plus souvent, les élÈves de ces milieux apparaissent comme des élÈves étrangers, étranges. La question de l’égalité des chances, le thÈme de l’ « école libératrice », qui pouvaient Être portés par des enseignants d’origine populaire mais pas seulement, ne paraissent plus aujourd’hui des enjeux essentiels de l’école et du métier aux yeux des nouvelles générations. »[3]. Il y a là, certainement, de quoi nourrir notre réflexion sur les moyens à mettre en œuvre pour redonner à l’école ses missions et sa place dans la vie de la cité ;

on peut vraisemblablement affirmer que, depuis une bonne quinzaine d’années, on a connu une dégradation du climat scolaire et une augmentation de la violence à l’école. Les collÈges semblent avoir été les premiers concernés. Cependant, comme nous le rappellent Eric Debarbieux, Alix Garnier, Yves Montoya et Laurence Tichit, « La comptabilité de la « violence scolaire » a débuté en 1993, lorsque, pour la premiÈre fois, une vue d’ensemble de la violence pénalisée à l’école a été tentée par le ministÈre de l’Intérieur. Comme nous le signalions à l’époque, grande avait été la surprise de la Direction centrale de la Sécurité publique, qui s’attendait à un nombre important d’agressions commises à l’encontre des établissements, des professeurs ou de leurs élÈves. Or, « les chiffres recueillis semblaient en réalité relativement modérés ». Un calcul simple montrait ainsi que le risque de victimation pour les élÈves était trÈs faible : 1 999 faits recensés en 1993 pour 14 millions d’élÈves et d’étudiants, soit un rapport de 0,014%, et pour les personnels 4 674 faits pour 1 108 000 personnes soit un rapport de 0,4%, chiffre d’ailleurs grossi car il comporte les dommages contre les locaux et les institutions (dont le vol de matériel). Comparé au rapport du total des crimes et délits constatés (hors école) au total de la population française le risque de victimation est, toute criminalité confondue, de 6,5% environ (3 700 000 délits pour environ 57 millions de Français). »[4]. MÊme si les travaux, entre autres, de ce groupe de chercheurs montrent une détérioration de la situation, et mÊme si les chiffres avancés ici sont à relativiser car ils ne concernent que des faits graves et déclarés, on voit bien que l’école n’est pas ce « lieu de tous les dangers » que certains dénoncent, souvent avec des arriÈres-pensées intéressées. Il ne faut pas, pour autant, pratiquer la politique de l’autruche face aux problÈmes auxquels elle se trouve confrontée ;

l’absence ou la faible place qu’occupaient jusqu’à une date récente les problÈmes de violence, d’indiscipline et d’incivilités dans la formation, initiale et mÊme continue, des futurs enseignants comme de ceux en exercice, contribue à accentuer le désarroi qu’un certain nombre d’entre eux expriment face à des comportements qui ne correspondent pas à ceux qu’ils attendent de la part de leurs élÈves. J’ai eu l’opportunité, à plusieurs reprises, de participer à des actions académiques de formation et d’information, à partir des recherches dont je rend compte ci-dessous, et cela m’a donné le moyen de vérifier ce qui se dégageait d’entretiens sur le terrain avec des enseignants. On peut mettre en rapport ce constat avec le problÈme croissant d’usure professionnelle, ce que l’on appelle aussi le burn-out, de nombre de professeurs, notamment dans l’enseignement secondaire. Des progrÈs ont été accomplis, pour former et accompagner cette population en la matiÈre, mais cela reste encore sans doute insuffisant.

La violence des individus est souvent une réponse à un sentiment d’injustice, de ne pas Être respecté et pris en considération, et ceci est particuliÈrement vrai chez les jeunes, qui sont l’objet principal du discours sur la violence, ces « jeunes des cités », ces « sauvageons » qui suscitent l’incompréhension et la crainte. Certes, il ne s’agit pas de nier l’existence d’un problÈme ni la montée de nouvelles formes de violences, urbaines ou scolaires notamment, mais d’éviter l’amalgame (« les jeunes des cités », « les immigrés », etc.) et de comprendre la nature de ce problÈme pour mieux pouvoir y apporter des réponses. Comme le dit fort justement Laurent Mucchielli, « Les problÈmes ne datent pas d’hier et leurs raisons d’Être ne peuvent se comprendre si l’on ignore l’histoire de l’urbanisation, de la société de consommation, de la crise industrielle, de la scolarisation, de l’immigration et du racisme. (…) Sans partager une philosophie du soupçon systématique, il est légitime de considérer que les médias, qui cherchent souvent à se présenter comme « au-dessus de la mÊlée » participent en réalité pleinement à la construction de ce discours au terme duquel la société française serait de plus en plus minée par la violence des jeunes de banlieue. »[5]. C’est pourquoi la réponse à la question que je traite ici n’est ni simple ni univoque, et les responsabilités dans l’évolution du phénomÈne non plus. Les discriminations dont sont l’objet plusieurs catégories de la population, au premier rang desquelles les jeunes des « quartiers », alimentent cette violence et la « rage » ou la « haine » que l’on évoque parfois pour expliquer les conduites réprouvables dont il est ici question.

La recherche dont je présente ici les résultats les plus saillants a été menée, sous notre conduite, par des groupes d’étudiants de sociologie qui avaient pour mission d’étudier un établissement en faisant une premiÈre partie générale et descriptive (caractéristiques de celui-ci, historique, effectifs d’élÈves et de personnels et leur évolution, cadre bati, environnement géographique, options offertes, etc.), puis une enquÊte quantitative à l’aide d’un questionnaire administré à quatre-vingt élÈves de sixiÈme et un nombre similaire de troisiÈme, et une enquÊte qualitative ayant comme support un guide d’entretien semi-directif auprÈs d’une demi-douzaine d’élÈves (moitié sixiÈmes, moitié troisiÈmes), ainsi que des entretiens auprÈs de membres du personnel (six ou sept également), dont le chef d’établissement ou son adjoint, un conseiller principal d’éducation, deux ou trois enseignants et une ou deux personnes issues d’autres catégories de personnel (tantôt des « pions », tantôt des assistants de service social, ou encore des administratifs, des personnels ouvriers et de service, des conseillers d’orientation ou des infirmiÈres). Dans un certain nombre d’établissements, Jacqueline Igersheim et moi-mÊme avons participé aux différentes opérations de collecte de données. Nous avons choisi de privilégier, on l’aura compris, l'étude des collÈges, car ceux-ci nous semblaient pour plusieurs raisons présenter un intérÊt particulier. D'abord, ils regroupent la quasi-totalité d'une classe d'age, alors que le second cycle de l'enseignement secondaire voit disparaitre une part (certes en diminution, mais non négligeable) des effectifs, et il y a une diversification dans les types d’établissements (lycées d’enseignement général et technique et lycées professionnels) et les filiÈres ; ensuite, la tranche d'age en question (disons les 11-15 ou 16 ans) sont des préadolescents et des jeunes adolescents pouvant Être confrontés à des situations et à une période de leur vie plus critiques que les enfants de l'école primaire ; enfin, la presse se focalisant plus souvent sur des événements ayant pour cadre des collÈges, on avait des bonnes raisons de penser qu'il s'agissait là du lieu le plus sensible, celui oÙ la montée de la violence était ressentie avec le plus d'acuité.

Nous avons, dans la quasi-totalité des établissements, reçu un accueil favorable, aussi bien de la part des chefs d’établissement que du personnel en général et des élÈves eux-mÊmes, et en conséquence nous avons été placé dans de bonnes conditions pour mener nos investigations. Dans certains collÈges, le Principal nous a demandé de revenir pour exposer les résultats au personnel (une fois également aux élÈves élus) et discuter à propos des phénomÈnes de violence en milieu scolaire en général et plus particuliÈrement de leurs manifestations dans l’établissement en question, ce qui a été pour nous une riche expérience. J’ajoute que le Recteur de notre Académie nous a demandé, à Jacqueline Igersheim et à moi-mÊme, de participer à des réunions qui se sont tenues dans les différents bassins scolaires avec des chefs d’établissements ou leurs adjoints et des conseillers principaux d’éducation, et qui avaient pour thÈme la prévention et le traitement de la violence.

Voyons, à présent, quelques aspects sociographiques de la population étudiée[6].

Notre échantillon se compose de 3.087 élÈves, dont 49% de troisiÈme et 51% de sixiÈme, représentant 22 collÈges. Les garçons et les filles sont à peu prÈs en nombre égal (51,6% de filles).

Nous avons distingué trois types de collÈges, les établissements privés, ceux situés dans des zones dites sensibles et les autres (des collÈges publics de centre-ville ou bien de quartiers ou de banlieues « sans problÈmes »). Nous sommes parfaitement conscients de la part d’arbitraire que comporte cette 'typologie', mais elle nous semble bien refléter une certaine réalité, un climat d’ensemble et des données objectives. Toutefois, l’analyse factorielle nous permettra de mieux cerner les profils d’élÈves qui se dégagent de cette enquÊte, et leurs poids respectifs. 75% des élÈves interrogés sont nés à Strasbourg et dans ses environs, et moins de 8% sont nés à l’étranger. Cependant, 25% des élÈves indiquent une nationalité étrangÈre pour leur pÈre, et presque autant pour leur mÈre (les pÈres maghrébins étant un peu plus de 10% et les Turcs prÈs de 6%, les chiffres pour les mÈres étant voisins de ceux-ci). A la question de l’appartenance religieuse, plus de 46% se disent catholiques, plus de 18% musulmans, 15% protestants, 1% juifs, 3% d’une autre religion, presque 12% sans religion, et un peu plus de 4% n’a pas répondu à cette question. Ils habitent, pour plus d’un quart d’entre eux, en HLM, pour plus de 32% dans un autre type d’appartement et pour prÈs de 41% dans une maison individuelle.

Les catégories socioprofessionnelles des parents montrent, sans surprise, une majorité d’ouvriers et employés pour les pÈres (28,5% et 20,8%, respectivement), avec toutefois 36,8% de catégories intermédiaires et supérieures (y compris les artisans, commerçants et agriculteurs), et une proportion importante de femmes au foyer chez les mÈres (28,7%), avec plus de 25% d’employées, plus de 11% d’ouvriÈres et personnels de service, mais aussi prÈs de 27% de catégories intermédiaires et supérieures. Notons, toutefois, que le nombre de non-réponses est ici assez élevé (11,2% pour les pÈres, 8% pour les mÈres). On peut penser que certains jeunes ignorent la profession de leurs parents, notamment lorsqu’ils ne vivent pas avec eux ; pour d’autres, il s’agit sans doute de se protéger contre un regard indiscret qu’ils craignent dévalorisant, en s’appuyant peut-Être sur une expérience vécue déjà plus ou moins souvent.

Quant au poids global des effectifs d’élÈves étudiés par type d’établissements, 29,5% sont dans des collÈges publics des zones dites « sensibles », 60,9% dans des collÈges publics autres et 9,6% dans des collÈges privés. Il y a une surreprésentation des collÈges de quartiers difficiles par rapport à leur poids dans le Bas-Rhin (les élÈves en ZEP des collÈges y étaient environ 11% en 2000/2001), mais elle est due à la fois au caractÈre urbain de notre échantillon (quasi-exclusivement composé d’établissements situés dans la Communauté Urbaine de Strasbourg, CUS) et à l’importance particuliÈre que revÊt dans les collÈges ayant le label ZEP le problÈme de la violence qui nous intéresse ici.

Le tableau suivant nous donne les caractéristiques attachées aux éléments sociographiques en fonction du type d’établissement fréquenté. On peut voir que dans la population interrogée des collÈges privés il y a des éléments d’un profil socio-économique plus aisé, alors que dans les collÈges en zone prioritaire ce sont au contraire les traits des couches plus défavorisées qui prévalent (les autres collÈges publics occupant une position intermédiaire). S’il n’y a là rien d’étonnant, c’est tout de mÊme instructif de le voir ressortir aussi nettement dans les chiffres. La relativement faible mixité sociale qui en découle ne peut qu’avoir des conséquences sur les comportements et représentations qu’auront les acteurs (élÈves, parents, agents de l’institution et, mÊme, la population globale dans son ensemble) vis-à-vis des établissements de telles ou telles caractéristiques et des populations qui les fréquentent.

CollÈges privés 9,6%

CollÈges en zone prioritaire

CollÈges publics autres

PÈre cadre supérieur

MÈre cadre supérieure

HLM

Maison

Appartement

PÈre français

MÈre française

Musulman

MÈre française

PÈre français

Protestant

Catholique

MÈre au foyer

PÈre ouvrier

MÈre ouvriÈre

PÈre employé

PÈre inactif

PÈre non réponse

MÈre profession intermédiaire

PÈre artisan-commerçant

PÈre profession intermédiaire

MÈre employée

2 enfants

1 enfant

PÈre marocain/tunisien

MÈre marocaine/tunisienne

PÈre turc et MÈre turque

PÈre algérien

PÈre et mÈre autre

MÈre algérienne

Sans religion

Catholique

Appartement

Maison

6 enfants et +

5 enfants

4 enfants

2 enfants

1 enfant

Né à l’étranger



Ici, nous donnons dans l’ordre les modalités des variables liées le plus significativement à chacun des types de collÈges étudiés. Par exemple, l’échantillon des élÈves scolarisés dans le privé est caractérisé par le fait que le pÈre et la mÈre de ces élÈves sont cadres supérieurs dans des proportions importantes (49,7% et 44,3% respectivement).

Nous pouvons maintenant examiner quelques résultats concernant le vécu scolaire et le thÈme de la perception de la violence chez les élÈves ayant répondu à notre questionnaire. Pour commencer, il faut peut-Être dire que pour bon nombre de questions, les résultats ne montrent pas de différence significative selon le type d’établissements. D’autres critÈres peuvent alors Être prépondérants : tantôt le sexe, tantôt l’age (opposition 6e et 3e assez fréquente), ou encore les attentes à l’égard de l’école (élÈves « conformistes » et élÈves « rebelles », que l’on retrouve bien entendu dans les différents types d’établissements). Ajoutons encore qu’on a volontairement condensé les résultats pour ne pas nous étendre excessivement sur ce point.

D’une façon générale, les élÈves paraissent plutôt aimer venir au collÈge. Nous avions proposé trois modalités de réponse à la question Aimez-vous venir au collÈge ? : oui, non et oui et non ; cette derniÈre catégorie de réponse ayant été ajoutée lors du remaniement du questionnaire pour tenir compte des remarques qui nous avaient été faites (entre le noir et le blanc, il existe aussi le gris…). Le oui et non a, d’ailleurs, été la modalité la plus retenue (50,4%), suivi par le oui (42,3%) et, loin derriÈre, par le non (7,3%). Ici, c’est la modalité du sexe qui est la plus explicative, les filles étant à la fois plus nombreuses à répondre oui et moins nombreuses à répondre non. Quant à la participation à des activités extrascolaires proposées par leur collÈge, 37,7% affirmer n’y participer à aucune, 31,7% participe à des voyages scolaires, 25,4% à des clubs (activités sportives ou de loisirs), 15,2% à divers types de projets ou de fÊtes, 13% au soutien scolaire et 8,5% à des conférences ou des concerts. (Les résultats, supérieurs à 100%, s’expliquent par le fait qu’on peut cocher plusieurs modalités de réponse). Plusieurs variables peuvent ici avoir une influence sur ces chiffres : les filles participent un peu plus que les garçons à certaines activités, les collégiens de ZEP font plus de soutien scolaire et moins de voyages que ceux du privé, etc.

Pour ce qui concerne les difficultés scolaires, 31,7% des collégiens ont déjà redoublé au moins une fois (dans le primaire et/ou le secondaire) ; ils sont 41,9% en ZEP, 28,6% dans les autres collÈges publics et 18,2% dans le privé. A la question Est-ce que les professeurs laissent tomber les élÈves en difficulté ?, en général, les élÈves répondent par la négative : 50% répondent non, 37,9% disent que certains les laissent tomber et 12,1% seulement affirment que c’est le cas de la plupart des enseignants. De mÊme, à la question Pour surmonter ces difficultés, qu’est-ce que vous faites ?, ils ne sont que 10,9% à répondre rien, contre 38,9% qui disent fournir un effort personnel plus important, 37,8% demander de l’aide aux parents, 31,9% rechercher l’aide d’un camarade, 30,9% poser des questions aux professeurs et 22,3% participer au soutien. Remarquons que tous les élÈves interrogés ont répondu à cette question, car ils peuvent tous Être concernés à divers degrés, et que les résultats sont également supérieurs à 100% pour les mÊmes raisons que ci-dessus.

Dans les questions sur la violence à proprement parler, nous avons demandé aux élÈves s’ils se sentaient en sécurité au collÈge ; 89,9% des élÈves du privé ont répondu oui, comme 72,7% de ceux des collÈges publics situés ailleurs que dans des zones sensibles, mais seulement 63,1% des élÈves de collÈges en ZEP ont répondu par l’affirmative. De mÊme, 86% des élÈves de collÈges privés considÈrent leur établissement comme peu ou pas du tout violent, contre 62% des élÈves du public hors-ZEP et 49% des élÈves de collÈges ZEP.

A la question Avez-vous dans votre collÈge les types de violence suivants ?, les résultats sont également intéressants : violence verbale, 67,1% trÈs souvent ou souvent, 29,1% de temps en temps ou rarement, 3,8% jamais ; violence physique, 42,7%, 50,1% et 7,1% respectivement, dégradation du matériel, 45,7%, 45,4% et 8,8%, racket, 16,1%, 50,8% et 33,1%, enfin drogue, 9,6%, 25,3% et 65,2%. Les réponses semblent ici déterminées par diverses variables, le type d’établissement, la classe fréquentée (et donc l’age), le sexe, mais aussi d’autres paramÈtres : par exemple, si dans tel établissement il y a eu récemment tel type de problÈme, les réponses seront majorées, sans que pour autant on puisse affirmer que c’est là oÙ ce problÈme se pose avec le plus d’acuité. A propos des représentations de la violence chez ces jeunes, on peut remarquer qu’un certain nombre d’entre eux vise surtout les attitudes des enseignants, les punitions qu’ils distribuent, alors que la dégradation du matériel ou le chahut ne leur paraissent pas violents : il s’agit des élÈves que nous désignons comme « rebelles » (à l’autorité des adultes, en tout cas), et ils sont présents dans tous les types de collÈges. Ce terme ne comporte pas de connotation positive ou négative mais est plutôt un constat à partir des attitudes ou des réponses anti-conformistes qui caractérisent ces élÈves.

Les lieux qu’ils désignent trÈs majoritairement comme les plus violents sont, sans surprise, la cour (pour 82,6%) et la sortie du collÈge (pour 76,9%). Cependant, 8,2% indiquent les toilettes et 6,1% désignent les salles de classe. Cela rejoint des observations que nous avons pu faire et les discours d’un certain nombre d’enseignants : en classe, la discipline tend à se relacher, le silence nécessaire au bon déroulement des cours est plus difficile à établir, la tension peut régner parfois, dÈs lors qu’un incident peut naitre aussi bien entre des élÈves qu’entre le professeur et un élÈve, à partir du fait le plus anodin. C’est ce qu’Anne BarrÈre a analysé avec pertinence : « Le désordre est la face d’ombre du systÈme scolaire, et pourtant un point crucial du quotidien des enseignants et des élÈves. Pour les enseignants, l’ordre scolaire est aujourd’hui un indicateur minimum et global de réussite, la condition nécessaire et parfois suffisante de l’auto-estime comme de la réputation professionnelle. (…) Si le chahut anomique est loin d’avoir disparu, de mÊme qu’il n’avait pas chassé totalement le chahut traditionnel, une nouvelle logique se dessine, trÈs perceptible à partir des discours des enseignants. L’existence de multiples incidents perturbateurs, dont ils témoignent, se rapporte à la fois à la rencontre de parcours en fait trÈs divers au sein d’une apparente homogénéité institutionnelle, et aux difficultés, scolaires et sociales cumulées d’un petit nombre d’élÈves. »[7].

Pour cet auteur, nous sommes entrés dans une phase au cours de laquelle le désordre scolaire se manifeste d’abord par l’incident, et celui-ci devient une préoccupation centrale de nombre d’enseignants ; il est, en cela, un révélateur du climat des établissements et des effets de la « forte injonction à la réussite » qui est devenue la rÈgle, non plus pour une minorité d’élÈves ayant le profil pour des études longues mais pour tous les élÈves ou presque. Par ailleurs, aussi forte que soit l’injonction, celle-ci ne parvient pas à réduire de façon significative la distance entre les performances scolaires des « héritiers », pour reprendre l’expression qui a été rendue célÈbre dans ce domaine par l’ouvrage de Pierre Bourdieu et de Jean-Claude Passeron, et celles des jeunes issus de milieux populaires, pour ne prendre qu’un élément (ô combien décisif, mais pas le seul) jouant sur les destinées scolaires des élÈves. Cette tension, créée par la volonté souvent contrariée de réussite, semble Être un facteur explicatif (parmi d’autres) de l’augmentation et des transformations des phénomÈnes de violence en milieu scolaire.

Pour revenir aux résultats de l’enquÊte quantitative, lorsque nous avons demandé aux élÈves s’ils avaient été témoins d’actes de violence, 59,1% ont répondu affirmativement, et à la question Avez-vous déjà subi certains de ces actes de violence ?, le oui se situe encore à un niveau trÈs élevé : 38,6%. Les formes de violence dont ils ont été témoins sont surtout la violence physique (42,9%) et la verbale (27,7%), mais le racket est cité par 5,3% ; pour les violences subies, c’est la violence verbale qui arrive en tÊte (21,7%), puis la physique (18,1%), le racket est ici aussi cité en troisiÈme position (3,6%). Quant à la violence dont sont victimes des professeurs, 36,8% des enquÊtés disent que cela arrive trÈs souvent ou souvent, mÊme si (heureusement…) il s’agit surtout de violences verbales. Les raisons de cette violence à l’égard des professeurs sont, d’abord, « l’insolence et le manque de maturité des élÈves » (60,2%) et le « manque d’intérÊt des élÈves pour la matiÈre » (42,9%), mais « le manque de sévérité du professeur » est cité par 36,5%, la « sévérité du professeur » par 30,5% et « l’indifférence du professeur vis-à-vis de ses élÈves » par 28,9%. On voit bien, ici aussi, qu’il y a des logiques différentes qui s’expriment à travers la diversité de ces réponses.

Terminons enfin ce bref rappel des résultats par les réponses faites à la question Comment empÊcher la violence au collÈge ?. Nous avons proposé quinze modalités de réponses, et les élÈves devaient en choisir trois au maximum. Celle qui est arrivé largement en tÊte, dans tous les types d’établissements, chez les 6e et les 3e, les filles et les garçons, c’est « Les parents devraient s’occuper davantage de leurs enfants », avec 53,7%, puis « Le collÈge devrait refuser les élÈves violents et perturbateurs » (36,2%) et « Il faudrait punir beaucoup plus sévÈrement » (29,8%), « Il faudrait plus d’activités sportives » (24,6%) et « Il faudrait des activités plus intéressantes » (23%) ; arrivent ensuite « Il faudrait plus de dialogue avec les professeurs » (19,5%) et « Il n’y a pas de solution » (12,7%). On voit ici des réponses que l’on pourrait qualifier de conformistes, pour les trois arrivées en tÊte en tout cas, au sens oÙ elles reprennent à leur compte un discours d’adultes. Il ne faut pas, pour autant, oublier que les enfants eux-mÊmes aspirent à la sécurité, souhaitent (pour une large majorité) que leur collÈge demeure un havre préservé (et ceci est surtout vrai pour ceux qui habitent les quartiers les plus agités et qui connaissent les situations familiales les plus détériorées), sont exaspérés aussi par les conditions difficiles dans lesquelles se déroulent certains cours, d’autant plus qu’ils perçoivent l’école comme un instrument indispensable pour l’insertion dans la vie adulte. On peut penser que mÊme certains enfants pouvant avoir des comportements perturbateurs voudraient bien se conformer à l’image du bon écolier, bien que ce vœu ne résiste pas à la confrontation avec la réalité ! Enfin, le rôle donné aux parents, l’injonction de s’occuper davantage de leur progéniture, montre que l’attachement au modÈle familial « traditionnel » est fort, et que les jeunes pensent (non sans raison, d’ailleurs…) que là oÙ des enfants ou des jeunes sont aux prises avec de grandes difficultés, la famille, et en premier lieu les parents, ont des fortes chances d’y Être pour quelque chose.

Au fil des ans, nous avons engrangé un assez grand nombre d’entretiens semi-directifs réalisés avec, d’une part, des membres du personnel des établissements étudiés, et d’autre part avec des élÈves. Sans vouloir ici analyser de façon exhaustive ces matériaux, nous pouvons ressortir quelques éléments parmi les plus significatifs.

Pour ce qui est des élÈves, la diversité des discours peut Être attribuée à nombre de facteurs, dont l’age, le sexe, le parcours et les résultats scolaires, l’origine sociale ou encore les attentes à l’égard de l’institution ; ces divers éléments, bien entendu, se combinent selon un certain agencement (ainsi, les enfants de milieu défavorisé auront une plus forte probabilité d’avoir connu un parcours scolaire avec des redoublements, d’expérimenter de plus grandes difficultés en classe dues à des lacunes non comblées, de bénéficier d’un encadrement scolaire familial moindre et, comme corollaire à cet enchainement de facteurs, d’avoir moins d’expectatives en termes de carriÈre scolaire et un discours plus désenchanté). Parmi les éléments qui traversent le discours d’un grand nombre d’élÈves, on peut relever trois types d’attentes plus ou moins inassouvies :

les rapports avec les enseignants sont jugés souvent insatisfaisants. Certes, la plupart des élÈves nuance cette affirmation : certains profs sont mis à part (« si tous les profs étaient comme untel, ce serait formidable »), mais on reproche à la plupart des enseignants tantôt de ne pas se soucier des élÈves, tantôt d’avoir leurs tÊtes, et d’engendrer par leurs attitudes un sentiment d’injustice ou d’arbitraire ; on attend d’eux plus de considération et d’intérÊt, les enseignants appréciés des élÈves n’étant pas forcément les plus laxistes (ni les plus sévÈres, d’ailleurs), mais ceux qui les prennent en compte et qu’ils perçoivent comme justes ;

les adultes au sein du collÈge, en général, semblent trop distants, barricadés derriÈre leurs positions hiérarchiques, insensibles aux problÈmes qui agitent les jeunes, prÊts à juger plutôt qu’à comprendre, porteurs d’une discipline qui est mal acceptée par nombre de ces pré-adolescents et adolescents. Cette perception est plus fréquente dans les établissements situés dans les quartiers défavorisés, oÙ la distance statutaire et générationnelle se double d’une distance sociale, d’un eux et d’un nous, pour paraphraser Hoggart[8], mais elle est également présente dans les autres types d’établissements ; on pourrait caractériser cette attente comme la recherche d’une empathie, cela rejoint en partie l’attente décrite précédemment ;

les contenus et les formes des cours sont souvent cités comme la cause d’un désintérÊt qui peut entrainer un décrochage, qui peut se traduire par de l’inattention et des manquements à la discipline en salle de classes. L’enseignant est alors accusé d’Être plus préoccupé par le programme de sa matiÈre que par la bonne compréhension du sujet abordé par une majorité des élÈves (« il fait son cours pour un petit groupe, les autres il n’en a rien à cirer »). On attend du professeur plus d’explications et d’attention par rapport aux élÈves plus faibles.

L’ensemble de ces points doit Être assorti de deux restrictions. D’abord, ces propos sont fréquents mais pas unanimes ; d’autres, fort éloignés de ceux-là, nous ont également été tenus par d’autres élÈves, et ils mettent en question le comportement de certains élÈves plutôt que celui des enseignants ou d’autres agents. Ensuite, ils ne prennent pas en compte les difficultés réelles auxquelles se trouvent confrontés les acteurs de l’Ecole, et d’abord les professeurs : le programme est sensé Être vu en totalité, une classe comporte souvent plus de vingt-cinq, voire plus de trente élÈves et le suivi personnalisé n’est pas une sinécure dans ces conditions, combler les lacunes d’un élÈve dans telle ou telle matiÈre n’est guÈre possible sauf si celui-ci a des capacités et une motivation trÈs fortes, etc. Cependant, ces discours illustrent un fossé, qui s’est peut-Être élargi au fil du temps, entre une partie de ces jeunes et l’institution scolaire ; la violence peut trouver là un terrain propice pour son développement.

Voyons maintenant ce qui concerne dans les entretiens le thÈme de la violence à proprement parler. On peut noter ici que l’age et le sexe sont des clivages importants dans les discours recueillis. Chez les élÈves de sixiÈme, qui étaient encore l’année précédente des grands à l’école primaire, les voilà redevenus des petits, découvrant un nouvel univers et ressentant une menace du côté des élÈves plus agés. La violence, pour eux, ce ne sont pas tellement les échanges verbaux, aussi vifs soient-ils, mais les bagarres et autres algarades, les coups en somme. Le rapport de force semble craint, mÊme s’ils sont peu nombreux à dire qu’ils ont été victimes de violences physiques. Les élÈves de troisiÈme parlent en général de la violence comme un phénomÈne plus multiforme et la mettent souvent en rapport avec un manque de respect ressenti à leur égard, des insultes, des plaisanteries qui dégénÈrent ou des attitudes méprisantes, que cela provienne d’adultes ou d’autres jeunes. Chez les filles, la violence est davantage verbale, car elles sont –en rÈgle générale- moins impliquées dans des faits de violence physique, encore que des bagarres entre filles soient rapportées, mais plutôt pour les stigmatiser comme des comportements inadmissibles, ce qui n’est, bien sÛr, pas le cas chez les garçons. Les lieux de la violence sont divers et elle prend des formes différentes selon qu’il s’agisse, par exemple, de la cour ou des salles de classes. Dans ce dernier cas, on rapporte davantage des faits oÙ l’enseignant impose des rÈgles mal comprises ou bien, comme le dit Angelina Peralva, nous avons à faire à une résistance au jugement scolaire : « Considérée du point de vue des élÈves, leur violence à l’égard des adultes constitue (…) le versant sombre d’un phénomÈne bien plus général, la résistance au jugement scolaire. Cette violence est toujours perçue par l’élÈve comme motivée. Elle est de l’ordre de la protestation : on proteste contre le mauvais exercice, par l’adulte, de sa capacité à juger et à rendre la justice –capacité fondée sur la fonction légitime et reconnue de l’école à transmettre des connaissances. »[9]. On peut aussi voir dans cette résistance une conséquence de la situation d’échec scolaire dans laquelle se trouvent majoritairement les élÈves violents : refuser un jugement scolaire qui les stigmatise est un moyen de conserver (ou de retrouver) l’indispensable estime de soi, mise à mal par un statut de cancre.

Le plus souvent, cependant, la violence dont il est question dans le discours des élÈves est celle entre pairs. Les bagarres, notamment dans la cour, sont souvent citées comme facteur d’insécurité, mais elles sont souvent considérées comme inévitables ; il n’en va pas de mÊme du racket, violence physique et morale que la victime subit souvent dans l’isolement créé par la peur ou la honte d’en parler, mÊme à des Êtres proches. Bien sÛr, la gravité du racket dépend de divers facteurs, mais les séquelles qu’il peut laisser ne dépendent pas seulement de ses caractéristiques objectives. C’est pourquoi il est trÈs difficile d’aborder le sujet avec nos interviewés ; ceux-ci se cantonnent en général à raconter des cas dont ils ont eu connaissance mais affirment avec un bel ensemble ne pas en avoir été victimes (et encore moins, bien entendu, auteurs !). On peut noter que ce ne sont pas forcément les établissements réputés plus difficiles qui sont les plus touchés ; comme nous l’expliquait le principal-adjoint d’un collÈge de ce type, « Qu’est-ce que vous voulez qu’ils se rackettent ? Non, si certains font du racket, c’est à l’entrée des collÈges des beaux quartiers ! ». En tout cas, dans des collÈges fréquentés par une majorité d’élÈves issus de milieux aisés nous avons effectivement constaté que ce thÈme revenait plus souvent en parlant de la violence, mÊme si les réticences pour l’aborder restaient fortes.

Pour terminer cette brÈve présentation des résultats de l’enquÊte, voyons à présent quelques aspects de l’analyse du discours des agents de l’institution. Bien entendu, leur diversité donne lieu à des discours dont les points communs sont, peut-Être, moins nombreux que les différences. Par ailleurs, nous ne pouvons ici que circonscrire notre analyse à quelques éléments parmi les plus significatifs de leurs discours : le profil ou l’absence de profil de l’élÈve violent, les facteurs explicatifs de la violence à l’école, l’évolution des phénomÈnes de violence, dans l’établissement et en général en milieu scolaire, et les mesures mises en place ou souhaitables pour réduire cette violence :

le profil (ou l’absence de profil) de l’élÈve violent : il y a ici un clivage réel entre ceux qui perçoivent ce type d’élÈve comme relevant de caractéristiques bien précises (situation d’échec scolaire, problÈmes familiaux, instabilité émotionnelle, etc.) et ceux qui pensent qu’il n’y a pas de profil-type, mais bien plutôt des circonstances qui favorisent l’émergence de comportements violents. Pour les premiers, la prévention doit se concentrer sur des élÈves à risque, tandis que pour les seconds il faut davantage se pencher sur les situations qui peuvent Être agressogÈnes. Bien entendu, ici comme ailleurs il ne s’agit pas de schématiser de façon caricaturale mais de trouver une ligne de partage qui découle d’une différence d’appréciation significative ;

les facteurs explicatifs de la violence à l’école : ce thÈme se caractérise davantage par la dispersion des réponses que par un véritable clivage. Pour bon nombre de nos interlocuteurs, ces facteurs sont largement extérieurs aux établissements (difficultés économiques et sociales des parents, dissociation familiale, perte de repÈres et absence d’autorité, images nocives véhiculées par les médias, dégradation de la vie sociale et insécurité dans les quartiers populaires, etc.), mÊme s’ils touchent ceux-ci de plein fouet. Pour d’autres, les facteurs ci-dessus agissent aussi, mais ce sont d’abord les mutations de l’univers scolaire qui sont en question : allongement de la scolarité obligatoire et du tronc commun, absence de motivation chez bon nombre d’élÈves dits en difficulté, exigence accrue de réussite scolaire dans les familles, surcharge des programmes, etc. Nombre d’interviewés insiste également sur le relachement de la discipline, la montée des incivilités, la pauvreté relationnelle et du langage, ou encore la frustration née des mauvais résultats scolaires et la jalousie à l’égard de ceux qui réussissent ;

l’évolution des phénomÈnes de violence : nous pouvons schématiser ici les discours de la façon suivante : les optimistes (les moins nombreux…) insistent aussi bien sur le caractÈre encore restreint de la violence scolaire (et les statistiques, à prendre néanmoins avec prudence, tendent à leur donner raison, comme nous avons pu le souligner ci-dessus) que sur les améliorations constatées à partir des réponses élaborées sur le terrain. Les fatalistes (ou désabusés) sont ceux pour qui la vague montante de la violence parait trop inexorable, alimentée qu’elle est par tant de facteurs sur lesquels l’école n’a guÈre de prise, pour qu’on puisse envisager de s’y opposer efficacement ; ce discours, mÊme s’il est traversé par des clivages idéologiques, est plutôt celui qui reflÈte le mieux des crispations et des conservatismes nostalgiques du « bon vieux temps ». Enfin, il y a ceux que l’on pourrait appeler les lucides, dont le discours est plus nuancé, tantôt par le souci de prendre en compte la complexité du phénomÈne, tantôt par l’expérience vécue dans les établissements, souvent d’ailleurs pour les deux raisons à la fois. Pour ces derniers, tout triomphalisme est à écarter, mÊme lorsque des améliorations sont constatées, car la fragilité des avancées contraint à une remise en question permanente, tant il est vrai que les facteurs objectifs qui produisent (ou reproduisent) la violence restent présents ; en mÊme temps, il ne faut pas baisser les bras ni compter sur la seule efficacité de réponses extérieures. Ceux qui tiennent ce discours se sentent investis d’une responsabilité, et donc susceptibles d’apporter leur part à la lutte quotidienne pour faire reculer les violences scolaires, quelle que soit par ailleurs leur fonction ;

les mesures mises en place ou souhaitables pour réduire cette violence : nous avons ici à faire à une longue énumération, oÙ on peut distinguer l’existant du souhaitable et les politiques ou orientations ministérielles des initiatives plus ou moins isolées ou singuliÈres pour répondre à des situations concrÈtes. Bien entendu, à ce dernier niveau il n’y a pas de véritable opposition, mais pas non plus forcément de complémentarité. On peut relever parmi les réponses (existantes ou souhaitables, d’ailleurs), quatre dimensions, plutôt perçues comme complémentaires, qui reviennent de façon récurrente. Il y a, d’abord, un aspect quantitatif de moyens, humains et matériels, pour lutter contre la violence : on souligne la nécessité d’avoir des CPE et des surveillants en nombre suffisant, on cite l’apport des aides-éducateurs, le besoin d’éviter les classes surchargées ou le non-remplacement d’enseignants temporairement absents, mais aussi le rôle des activités périscolaires telles que des clubs, des foyers, etc. Il y a, ensuite, toujours dans l’ordre de la prévention, des éléments plutôt qualitatifs : privilégier l’écoute, la proximité, la disponibilité, le dialogue avec les familles (et notamment celles des élÈves présentant des difficultés scolaires ou de comportement), faire connaitre et comprendre le rÈglement intérieur et le projet d’établissement, donner un contenu concret à l’éducation à la citoyenneté, etc. Puis, il y a les éléments répressifs, hélas indispensables, qui doivent survenir lorsque les phénomÈnes de violence sont constatés. Plusieurs de nos interlocuteurs ont insisté sur les points suivants : la réponse à des actes répréhensibles doit intervenir de façon rapide, faire preuve de fermeté mais en étant proportionnée à la gravité de la faute, elle doit s’accompagner d’une explication pour Être comprise et s’inscrire dans une cohérence d’ensemble. Enfin, il y a l’accompagnement, souvent nécessaire, pendant et/ou aprÈs les mesures répressives : accompagnement de la (ou des) victime(s), le cas échéant, mais aussi de l’auteur des violences, pour essayer de rendre viable la poursuite de sa scolarité.

On aura compris que la diversité des opinions et des vécus qui s’expriment dans ces entretiens dépendent de nombre de facteurs, parmi lesquels il y a, bien sÛr, la position de nos interlocuteurs au sein de l’institution, mais aussi la nature et le volume des faits de violence auxquels ils se trouvent confrontés, leurs trajectoires respectives et la personnalité de chacun. J’ai eu maintes fois l’occasion de vérifier, par exemple, l’importance de la personnalité du chef d’établissement dans le climat qui rÈgne dans un collÈge (ou dans un lycée, d’ailleurs), la façon dont elle rejaillit sur les autres membres du personnel, sur l’existence plus ou moins précaire ou solide d’un véritable esprit d’équipe. Il y a là un facteur impondérable (parmi d’autres), qu’il nous faut prendre en compte.

Lutter contre la violence au sein des établissements scolaires est, certes, une nécessité. Il faut, toutefois, éviter la dramatisation et, surtout, prendre conscience du fait que cette lutte a partie liée avec celle qui doit Être menée contre l’élargissement du fossé qui sépare les populations vulnérables des nanties, contre le monopole de l’avoir, du savoir et du pouvoir par une fraction trÈs minoritaire de la population globale, contre tant d’autres atteintes aux idéaux républicains qui engendrent le sentiment d’injustice. Il faut aussi rénover le dialogue entre les représentants de l’institution scolaire et les familles pour ne pas Être réduits à se lamenter sur la prétendue démission de ces derniÈres, ou en tout cas d’une partie importante de celles-ci. En somme, les enjeux soulevés par la problématique qui nous occupe ici tendent à déborder largement celle-ci et rejoignent une interrogation sur le sens des mutations qui s’opÈrent dans notre société à l’heure actuelle.

References:

BarrÈre (A.), « Un nouvel age du désordre scolaire : les enseignants face aux incidents », Déviance et société, 2002, vol. 26, n°1.

Debarbieux (E.) et alii., La violence en milieu scolaire. 2- Le désordre des choses, (1999) Paris, E.S.F. éd.

  1. Elias (N.), La civilisation des mœurs, (1973) Paris, Ed. Calmann-Lévy, et La dynamique de l’Occident, (1975) Paris, Calmann-Lévy éd.
  2. Hoggart (R.), La culture du pauvre, (1970) Paris, Ed. de Minuit (1e éd. en langue anglaise : 1957

Igersheim (J.) et Matas (J.), « EnquÊte sur la violence au collÈge. Comprendre pour agir », Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1998, n° 25, pp. 66 à 74.

Mucchielli (L.), Violences et insécurité. Fantasmes et réalités dans le débat français, (2001) Paris, Ed. La Découverte.

Payet (J.-P.), “Violence à l’école: les coulisses du procÈs”, in/ Charlot (B.) et Emin (J.-C.), coord., Violences à l’école. État des savoirs, (1997) Paris, A. Colin/Masson éd.

Peralva (A.), « Des collégiens et de la violence », in/ Charlot (B.) et Emin (J.-C.), coord., Violences à l’école. État des savoirs, (1997) Paris, A. Colin/Masson éd.



Igersheim (J.) et Matas (J.), « EnquÊte sur la violence au collÈge. Comprendre pour agir », Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1998, n° 25, pp. 66 à 74.

voir, notamment, Elias (N.), La civilisation des mœurs, (1973) Paris, Ed. Calmann-Lévy, et La dynamique de l’Occident, (1975) Paris, Calmann-Lévy éd.

Payet (J.-P.), “Violence à l’école: les coulisses du procÈs”, in/ Charlot (B.) et Emin (J.-C.), coord., Violences à l’école. État des savoirs, (1997) Paris, A. Colin/Masson éd.

Debarbieux (E.) et alii., La violence en milieu scolaire. 2- Le désordre des choses, (1999) Paris, E.S.F. éd.

Mucchielli (L.), Violences et insécurité. Fantasmes et réalités dans le débat français, (2001) Paris, Ed. La Découverte.

Les résultats présentés ici concernent les collÈges étudiés entre 1997/98 et 2000/01, soit 22 établissements. En effet, en 1997 nous avons procédé à un remaniement important du questionnaire et, de façon plus générale, à une modification du mode d’approche des établissements, au vu d’une évaluation critique de la méthodologie utilisée lors de la premiÈre phase de la recherche.

BarrÈre (A.), « Un nouvel age du désordre scolaire : les enseignants face aux incidents », Déviance et société, 2002, vol. 26, n°1.

Hoggart (R.), La culture du pauvre, (1970) Paris, Ed. de Minuit (1e éd. en langue anglaise : 1957).

Peralva (A.), « Des collégiens et de la violence », in/ Charlot (B.) et Emin (J.-C.), coord., Violences à l’école. État des savoirs, (1997) Paris, A. Colin/Masson éd.




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